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Il nous faut douze planètes

Si nous autres grands amis du progrès, de la démocratie et des pauvres voulons que dans cinquante ans les dix milliards d'habitants de la planète bénéficient de notre niveau de vie (une bagnole, une villa sur la côte, cinq cents kilos de déchets par an et quatre heures par jour devant la télé), il nous faudrait, en gros, douze planètes (1). Du moins si l'on veut ne pas saloper irrémédiablement la Terre comme nous avons joyeusement commencé à le faire.

Johannesburg a donc au moins un intérêt, celui de faire comprendre que ça ne peut plus durer à ceux qui ne le sauraient pas encore, George W. Bush par exemple. D'autres que lui, plus malins, ont déjà intégré ce " nouveau paradigme " désormais indispensable à tout homme politique et à toute entreprise qui se la jouent " moderne ". À Johannesburg, 700 firmes du monde entier ont ainsi monté des stands aguicheurs où ils se présentent comme les champions du " développement durable ". On trouve même parmi eux les nucléocrates d'EDF, aussi crédibles en écolos que Roselyne Bachelot.

Outre l'intérêt pédagogique, à quoi aura servi Johannesburg ? A rien, ou si peu: le seul engagement chiffré porte sur la réduction de moitié, d'ici quinze ans, du nombre d'humains n'ayant pas accès à l'eau potable. Le reste : bla-bla-bla, rhétorique et bonnes intentions. L'épuisement des réserves d'eau potable ? L'effondrement de la biodiversité ? La lutte contre la pauvreté ? Le réchauffement de la planète ? L'indispensable réduction des flux de matière et d'énergie, notion clé du " développement durable " (2) ? Aucune décision concrète, aucun calendrier. Un fiasco, tout comme le sommet de Rio en 1992, avec son fameux protocole de Kyoto inopérant car jamais ratifié par les Etats-Unis. Les paysans sans terre qui ont défilé samedi dernier avaient raison de dénoncer cette " causerie de riches ", ce " sommet de la destruction durable ".

Quelle alternative, alors ? Certains auteurs radicaux comme Serge Latouche (3), affirment que le " développement durable " est une pure aberration, une contradiction dans les termes, un oxymoron pareil à " obscure clarté ". Pour eux la seule issue est de bouleverser notre mode de vie et de passer à la " décroissance conviviale ". Pas facile, certes... Pour certains, comme le politologue Jacques Généreux dans " Alter Eco " (9/2), cette " décroissance conviviale " serait tout bonnement impossible, car " il est évident qu'un recul annuel permanent de la production de 1 % ou même de 0,5 % engendrerait un véritable chaos social ". Vraiment ? Quoi d'autre alors ? Dernier concept en vogue, celui d'" éco-économie ", signé Lester Brown, qui ressemble fort à celui d'écologie industrielle (on recycle matières et énergies sur le modèle d'un écosystème naturel). Or la seule expérience d'envergure d'écologie industrielle connue, à Kalundborg (Danemark), montre que ce conte de fées libéral se heurte à toutes sortes d'obstacles (voir ce même numéro d'" AlterEco ").

Finalement, il sera plus facile de trouver douze planètes !

Jean-Luc Porquet

(1) Selon le calcul de François Schneider dans la revue " Silence " de février 2002.
(2) Dominique Bourg, " Quel avenir pour le développement durable ? " (Le Pommier, 2002).
(3) " L'Ecologiste ", n° 6.

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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