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Développement durable. Un concept à géométrie très variable.

Récupéré, recyclé, galvaudé parfois le terme de développement durable sert aujourd'hui d alibi au monde économique. Pour éviter de se poser la vraie question : faut-il renoncer à la croissance économique pour sauver la planète ?

Historiquement, c'est la conférence sur " l'environnement humain " de Stockholm en 1972, et ses réunions préparatoires, qui marquent le début des réflexions sur le développement durable. " Nous étions alors parvenus à poser la question du rapport entre l'environnement et le développement, et avions introduit le terme d'éco-développement, plus puissant que celui de développement durable, se rappelle Ignacy Sachs, directeur du Centre de recherche sur le Brésil contemporain. C'était l'époque où Indira Gandhisoutenaitque la pauvreté était la pire des pollutions. "

Les Nations unies créent alors une commission du développement durable, présidée par la norvégienne Gro Harlem Brundtland, à l'origine en 1987 du fameux rapport " Notre avenir à tous " portant son nom (1), et qui proposera la première définition de ce concept naissant: " Le développement durable répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ".

Rio, 1992: le Sommet de la Terre est celui " de l'environnement et du développement ". Le terme de développement durable y est consacré et popularisé, et les principes qui le sous-tendent explicités: principes de solidarité entre les générations, de précaution, de participation (voir encadré). Dans sa traduction pratique communément admise, le développement durable associe les dimensions économique, environnementale et sociale, "avec pour objectif d'inventer des solutions triple ment gagnantes'', explique Ignacy Sachs.

Christian Garnier, vice-président de France nature environnement, estime pour sa part nécessaire d'ajouter la dimension culturelle à ce triptyque (2), afin de faire apparaître l'importance des questions d'éducation et d'épanouissement personnel, pour " développement durable et désirable ", choisi en fonction d'aspirations partagées. Concrètement, il n'existe pas de marque déposée. Le terme développement durable a même été tellement galvaudé, pour des desseins plus ou moins généreux, que Greenpeace a décidé de bannir le terme de son vocabulaire

C'est d'abord le monde des affaires qui est visé, avec ces entreprises qui déclinent une allégeance de circonstance à un principe dont elles définissent elles mêmes les contours. La forme la plus sournoise de récupération consiste à se servir du concept comme d'un emplâtre: on continue comme avant, et on réfléchit aux manières de réparer les dégâts. Aux États-Unis, l'administration soutient la recherche de solutions technologiques " nettoyantes " - comme le stockage du gaz carbonique, liquéfié, au fond des mers -, destinées à éviter au pays une douloureuse remise en cause de son mode de vie.

Ce sont aussi de grands semenciers qui affirment que les organismes génétiquement modifiés (OGM), en participant prétendument au renforcement de la sécurité alimentaire et à la lutte contre la faim, sont des outils du développement durable, au mépris de l'avis des agriculteurs et des consommateurs, qui les rejettent. " On voit où peut mener cette logique d'entreprise, avertit Ignacy Sachs. Les États accéléreront la déréglementation et auront les mains libres pour faire, à leur mode, de l'écologiquement correct: les pétroliers inventeront de nouveaux carburants verts pour des voitures plus propres, mais toujours plus nombreuses. Et rien ne sera résolu. "

C'est parce que dans le cercle des institutions internationales, des gouvernements et des entreprises, on assimile toujours croissance et développement, souligne Christian Coméliau, professeur à l'Institut universitaire d'études du développent à Genève. "Comment, dans un tel cadre, parler de "développement durable" ? Pense-t-on que la croissance peut durer indéfiniment ? C'est totalement aberrant (3) !".

L'économiste estime que dans les pays du Nord, qui ont déjà largement couvert leurs besoins de base, l'abandon de la croissance est une nécessité inévitable et non négociable. "Il faut réduire la consommation marchande de biens appropriables. En revanche, les pays du Sud auront encore besoin de la croissance pour combler de nombreuses carences.".

Un courant de pensée écologiste théorise même cette refonte du dogme fondateur de la prospérité occidentale, en prônant une "décroissance soutenable et conviviale" inspirée des travaux de l'économiste bulgare Nicholas Georgescu-Roegen (décédé en 1994) (4), au-delà des audaces de la "croissance zéro" prônée dans les années 1970 par les économistes du Club de Rome. Car même ainsi, I'humanité consommera* son capital de ressources, écrit Serge Latouche, président de l'association La Ligne d'horizon - les Amis de François Partant (5). " Il faut renoncer à l'imaginaire économique et à sa croyance selon 1aquelle " plus = mieux " Une décroissance voulue a bien pensée n'impose aucune limitation dans la dépense des sentiments et la production d'une vie festive, voire dionysiaque."

 

PATRICK PIRO

(1) Notre avenir à tous, éditions du Fleuve, Québec, 1989
(2) Proposition que reprend à son compte la Commission française du développement durable, présidée par Jacques Testart.
(3) Les impasses de la modernité, Christian Coméliau, éditions Seuil, 2000
(4) La décroissance, Nicholas Georgescu-Roegen, éditions du sang de la Terre, 1995
(5) Lire le numéro "La Décroissance", de la revue Silence (février 2002), et consulter www.ecolo.asso.fr

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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