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LA DECROISSANCE SOUTENABLE

Pour Vincent Cheynet*, la croissance économique est insoutenable : pour préserver l'homme et la nature, il s'agit dès aujourd'hui de s'engager dans la décroissance... soutenable. Un changemement de conscience.

Réel : Votre revue "Casseurs de pub" (1) a entrepris de promouvoir la décroissance soutenable, de quoi s'agit-il ?

Vincent Cheynet : La décroissance soutenable consiste à réduire la production et la consommation au profit de la croissance humaniste. Car il n'y a de décroissance économique possible que si simultanément nous améliorons nos relations sociales et les autres domaines de l'humain : culturel, poétiques, politiques et spirituels pour ceux qui ne sont pas athées. . .

La théorie de la décroissance a été développée par l'économiste Nicolas Georgescu-Roegen (2). Il a été le premier à intégrer le paramètre écologique dans les sciences économiques, affirmant qu'il n'y avait pas de croissance illimitée possible dans un monde où les ressources naturelles sont limitées. Nous avons rajouté "soutenable" pour faire écho au développement durable.

Réel : Et soutenable comment ?

V. C. : Il y a des décroissances qui conduisent au démantèlement de la société. C'est le cas de la Russie : sa désindustrialisation a eu des conséquences positives pour l'écologie mais désastreuses pour les hommes qui vivent dans le chaos social. Ce n'est pas ce que nous voulons. Pour nous, la décroissance a deux préalables : la démocratie et l'humanisme. C'est un changement "par le bas" qui est choisi et voulu et s'inscrit dans la continuité de la simplicité volontaire. La décroissance soutenable est au collectif ce que la simplicité volontaire est à l'individu.

Réel : Pouvez-vous définir le concept de simplicité volontaire ?

V. C. : C'est l'auto-limitation des besoins qui constitue à notre avis une forme résistance majeure dans une société où il est dit que nous existons que par la consommation.

Réel : Pourquoi dites-vous que le développement, même dit "durable", est toxique ?

V. C. : Parce que lorsque nous parlons de développement durable : recyclage des déchets, écotaxe, pastilles vertes, commerce équitable, et même la taxe Tobin, nous sommes en train de chercher des réponses techniques à un problème philosophique ! Le développement durable, c'est inscrire le développement dans la durée, ce qui, comme dirait Serge Latouche (3) est "terrifiant". Mettre un label "éthique" sur un système criminel ne me convient pas car c'est le cautionner. Notre société est régie par l'idéologie de la consommation et son corollaire la croyance en la toute puissance de la technique. Nous proposons comme médicament ce qui provoque notre maladie, donc nous ne faisons qu'aggraver le problème. Exemple : poser un pot catalytique sur un 4 x 4 qui pollue.

Réel : et la solution c'est ?

V. C. : Rouler à vélo ou marcher !

Réel : Faut-il que nous roulions tous en vélo ?

V. C. : La première étape est de réfléchir à nos conditionnements, nous re-stituer dans le temps et l'espace. Le développement, c'est notre modèle occidental, c'est-à-dire 80% des richesses aux mains de 20% des hommes, autant dire du colonialisme déplacé. Pourquoi les sous-développés nous rejoindraient-ils ? Pour penser la décroissance, il faut penser l'humain comme un et indivisible. Le gâteau ne peut pas grossir indéfiniment, il faut donc le partager. L'urgence n'est pas de poser le label éthique sur ce mode de développement, c'est de remettre en cause un développement et une croissance économiques qui reposent sur le pillage des ressources naturelles et sur l'asservissement de nations entières.

Réel : Comment faire pour faire croître l'humain ?

V. C. : Il faut re-stituer le pouvoir politique et responsabiliser les citoyens. C'est ce que nous tentons de faire dans nos médias et le vôtre aussi qui sont indépendants et peuvent diffuser ces idées. La révolution française a été le résultat des Lumières...

Réel : Justement, ne restez-vous pas dans le domaine de l'idéologie et de l'utopie ?

V. C. : Au contraire, nous sommes dans le concret ! La décroissance soutenable implique de tendre vers une économie saine qui consiste à vivre de nos revenus sans piller le capital, qu'il soit individuel ou planétaire. Utiliser des matériaux organiques, recycler ce que nous avons...

L'objectif est cependant utopique, j'en conviens, et très éloigné de l'idéologie dans laquelle baigne l'Occident. Mais l'homme a une capacité d'invention extraordinaire : il trouve toujours les solutions techniques. C'est donc un changement de conscience qu'il nous faut.

Réel : Vous-même, comment pratiquez-vous la décroissance soutenable au quotidien ?

V. C. : Je suis encore plein d'incohérence, comme chacun, mais je tente de chercher un équilibre entre choix individuels et collectifs. Je n'ai pas de voiture, de réfrégérateur, d'aspirateur, ni de Télévision, je consomme 15 Kwatt d'électricité par mois. Je vis en ville mais je cultive une parcelle de jardin collectif. J'ai un vélo, je prends le train, jamais l'avion. Je voyage plus lentement mais mieux : je préfère avoir un nouvel ami qu'une nouvelle voiture, je prends du temps pour mes relations sociales, j'essaie aussi de développer mon essence spirituelle.

Réel : Pensez-vous que la décroissance soutenable implique un engagement spirituel ?

V. C. : Pour ma part, je me qualifie de spiritualiste avec une bonne part d'agnosticisme mais je crois qu'il serait erroné de penser que cette volonté est réservée au personne engagé dans la spiritualité. Parmi nous se trouvent des matérialistes qui s'inscrivent complètement dans cette démarche. C'est en respectant nos différences que nous allons pouvoir avancer vers un monde plus juste où l'homme et la nature seront remis au centre de toutes choses.

Propos recueillis par Fabienne Laurès

* Vincent Cheynet est fondateur et co-rédacteur de la revue "Casseurs de pub" (11 rue Croix-Pâquet 69001 Lyon - casseurs@antipub.net) et collabore à d'autres revues dont Silence.

1) Casseurs de pub, dossier annuel novembre 2002. Voir aussi Silence numéros 280 et 287 (février et septembre 2002) et L'Ecologiste numéro 6 (hiver 2001).

1) "La déraison de la raison économique", Serge Latouche, ", Albin Michel, 2001.

2) Mathématicien et économiste roumano-américain, Nicholas Georgescu-Roegen (1906-1994) est le père de la théorie bioéconomique. Il est l'auteur d'ouvrages révolutionnaires dont "La décroissance", éd. Sang de la terre


Un colloque sur La décroissance soutenable aura lieu à l'Hôtel de ville de Lyon les 26 et 27 septembre 2003.

Co-oganisé par les revues l'Ecologiste, Silence, Casseurs de pub, les associations La ligne d'horizon, l'Institut pour la relocalisation de l'économie, et Jacques Grinevald, universitaire, disciple et ami de Nicholas Georgescu-Roegen.

Avec Jacques Grinevald, Serge Latouche, Pierre RabhiŠ

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« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. »
Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.

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