Une fois n'est pas coutume, nous publions notre chronique « écotartufe » de notre numéro 194 de novembre 2022 consacrée à Aurélien Taché. Mais abonnez-vous à la presse de vrai papier pour sauver son indépendance.
« Un collectif d’élus écologistes, emmené par le député Aurélien Taché, dans une tribune au “Monde”, demande à la France d’en faire davantage pour aider l’Ukraine : les livraisons d’armes doivent non seulement être plus importantes... » Le Monde, 27 février 2023.
« Je suis pour la création d’un parti de masse de l’écologie politique », clame le député Aurélien Taché à Libération le 2 septembre 2022. Ça tombe bien, moi aussi ! Tout le problème est de savoir ce que l’on met derrière le mot écologie. Et, à 38 ans, le député représente une sorte de synthèse de celle dont nous ne voulons pas. Elle s’incarne parfaitement dans un parcours déjà long de trahisons. Un bel exemple de jeune politicard, qui affiche bien entendu la volonté de renouveler la politique, tout en pratiquant le retournement de veste avec l’agilité de ses prédécesseurs les plus faisandés.
Adorant se répandre dans les médias, il nous explique que, petit, il se « voyai[t] aussi bien en Che Guevara qu’en Louis XIV. Déjà sans doute le “et en même temps”(1) ». Ceci doit expliquer cela. Ancien des Jeunes socialistes, il est élu en 2017 député macroniste LREM. En 2022, il est réélu grâce à l’étiquette mélenchoniste NUPES, après avoir soutenu à l’élection présidentielle l’écotartuffe de notre numéro 109 de mai 2014, Eric Piolle. Désormais président des Nouveaux démocrates, créé en 2020, Aurélien Taché vient de fusionner sa coquille vide avec Europe Écologie-les Verts : « Notre objectif, c’est d’être très clairs sur la nécessaire refondation du parti qui doit privilégier une écologie populaire laissant toute sa place à la diversité. Beaucoup de gens des quartiers populaires, lorsqu’ils entendent des discours un peu élitistes voire bobos, peuvent avoir l’impression que l’écologie n’est pas faite pour eux. » (Libération, 23 octobre 2022.)
Il n’est pas le seul à avoir fait ce parcours : Delphine Bagarry, Cédric Villani (écotartufe de notre numéro 183 d’octobre 2021), Hubert Julien-Laferrière ont aussi essayé de retrouver leur siège de député en passant de LREM à la NUPES (pendant que d’autres faisaient le chemin inverse, à l’image de Pascal Canfin, écotartufe de notre numéro 98 d’avril 2013, passé d’EELV à Macron). À noter que MM. Villani et Julien-Laferrière se revendiquent désormais de… la décroissance !
Revenons à M. Taché : celui-ci se justifie de ses traîtrises en accusant Emmanuel Macron d’être le véritable traître à son programme. Trahison ? On peut tout reprocher à Macron, mais pas l’incohérence : il applique à la lettre la doctrine globaliste des Young Leaders. Quoi qu’il en soit, la distance d’Emmanuel Macron à Eric Piolle est-elle si grande que cela ? Non, au contraire, comme nous l’avons souvent exposé dans nos colonnes. Dans notre n° 164 de novembre 2019, Denis Bayon et moi concluions : « Ainsi se sont définitivement alignées les planètes libérales chez les Verts/EELV, jusqu’à ce que ceux-ci deviennent même une véritable avant-garde dans tous les domaines au service de la classe dirigeante qui souhaite faire de l’écologie libérale-libertaire sa planche de salut pour relancer son économie industrielle. EELV est aujourd’hui le parti le plus crédible pour la fabrication de l’opinion en faveur de son embrigadement dans le capitalisme vert qui suppose l’atomisation sociale que garantissent toutes les “conquêtes sociétales”. La mue complète aura pris une vingtaine d’années et garantit (et garantira) carrières et fortune à des centaines de ses cadres. Quant à l’écologie politique, la vraie, non libérale, elle reste toujours minoritaire... »
Caricature
Opportuniste accompli se prétendant chevalier blanc du politique, tout est paradoxe dans le discours et les pratiques d’Aurélien Taché. À l’image de tant d’autres, il est ce qu’il dénonce. Il reproche à EELV d’être un parti à l’électorat « le plus CSP + », « élitiste », « centré sur les bobos à vélo dans les métropoles », avec des militants « déconnectés », « donneurs de leçons » d’où sont absents « la ruralité et les quartiers populaires ». Personne ne pourra le contredire là-dessus, sauf qu’il incarne jusqu’à la caricature ce qui y a conduit. Lorsque même Libération lui demande : « une phrase comme celle de Sandrine Rousseau sur le barbecue ne risque-t-elle pas de braquer un certain nombre de Français ? », plutôt que s’interroger, il en remet une couche : « Elle a eu raison de dire que le barbecue est un attribut de la virilité. Depuis la Préhistoire, ce sont les hommes qui font le feu. » Sic. Puis il renvoie ses contradicteurs à Fabien Roussel, c’est-à-dire selon lui à ceux qui confondent « populaire et réactionnaire ».
Lui, en revanche, confond systématiquement « classes populaires » et islamisation. Ce n’est pas un hasard si Aurélien Taché est un soutien du maire de Grenoble : il est le parfait idiot utile des intégristes, par compromission électoraliste. Ses sorties les plus outrancières, ultrarelativistes et de mauvaise foi sur ce sujet ont fait la joie de la presse droitarde. Un seul exemple : il avait ainsi légitimé le cas d’« une jeune fille de douze ans qui porterait le voile », en le comparant à celle d’« une jeune fille à qui on mettrait un serre-tête » (France 5, 2 mars 2019). Les femmes qui meurent en Iran en ce moment en manifestant contre le voile doivent sûrement beaucoup apprécier le « féminisme » dont n’a de cesse de se targuer M. Taché. De fait, il est l’exemple type de ces progressistes qui précipitent les classes populaires dans les bras du Rassemblement national ou qui ont fait élire Giorgia Meloni en Italie. Car tout contradicteur à ses « avancées sociétales » est immédiatement pathologisé et démonisé. Mais quand il s’aperçoit que les pensées qui lui ont échappé de la bouche sont allées trop loin, pour de pures raisons électoralistes, il s’en excuse alors.
Aurélien Taché déroule ainsi tout le programme d’une gauche progressiste qui se fait l’agent du capitalisme libéral : revenu inconditionnel complété si besoin par l'ubérisation c’est-à-dire « des activités “micro-capitalistiques”, [...] les revenus issus des plateformes telles que Aibnb, Blablacar ou encore ceux tirés d’une chaine Youtube(2) », gestation pour autrui « éthique(3) » (sic), communautarisme et défense de la polygamie (CNews, 20 novembre 2020), légalisation du cannabis qui « permettrait de casser des points de deal, de libérer du temps pour les policiers, de donner du travail aux agriculteurs et des recettes à l’État(4) », atlantiste forcené exigeant la fourniture massive d’armes à l’Ukraine(5)… Notons que ce même esprit extralucide nous promettait pourtant dans son livre publié en janvier 2022, dont nous parlons plus loin, que nous vivrions désormais « dans un monde sécularisé, où les guerres ont cessé et où les grandes idéologies se sont effondrées ». Le moins que l’on puisse dire c’est que c’est loupé.
Il est la caricature de cette bourgeoisie faisant payer sa bonne conscience narcissique aux plus précaires et fragilisés et qui a tous les moyens de se protéger des conséquences de ses politiques. D’ailleurs, il décrit les thèses de Christophe Guilluy en ce sens comme « aussi absurdes qu’en vogue ». On comprend qu’il se sente visé quand le géographe souligne, par exemple, que « ce qui est nouveau, c’est d’abord que la bourgeoisie a le visage de l’ouverture et de la bienveillance. Elle a trouvé un truc génial : plutôt que de parler de “loi du marché”, elle dit “société ouverte”, “ouverture à l’Autre” et liberté de choisir… Les Rougon-Macquart sont déguisés en hipsters. Ils sont tous très cools, ils aiment l’Autre. Mieux : ils ne cessent de critiquer le système, “la finance”, les “paradis fiscaux”. On appelle cela la rebellocratie. C’est un discours imparable : on ne peut pas s’opposer à des gens bienveillants et ouverts aux autres(6) ».
« Modeste »
Pour les besoins de cette chronique, je me suis infligé la lecture du livre d’Aurélien Taché Voyage d’un homme libre au pays de l’absolutisme, paru au Seuil en janvier 2022. Au 16 octobre, EDISTAT, qui réalise une estimation précise des ventes de livres, annonçait pas moins de 44 exemplaires vendus. J’y suis passé directement après avoir lu Nature & liberté. Introduction à la pensée de Bernard Charbonneau, de Daniel Cérézuelle (L’échappée, 2022). On peine à imaginer une transition plus vertigineuse. Le jeune député y rédige son hagiographie. Il a raison : on est rarement mieux flatté que par soi-même. Il s’y décrit comme un enfant « précoce », « surdoué », « hypersensible », « romantique », un esprit « épris de liberté », ayant « avant l’âge de 11 ans [...] par exemple lu Les Possédés de Dostoïevski et la saga des Rois maudits », d’ailleurs il « impressionnait tous les adultes lors des repas de famille ou entre amis… ». Il apprend même « à lire seul, sur les emballages de produits alimentaires ». Subjuguée par un tel génie en culottes courtes, son institutrice convoque ses parents « déboussolés » par le prodige, pour lui faire sauter une classe. Une psychologue finit par poser un diagnostic : « j’étais selon elle un petit garçon de 10 ans qui en avait 18 dans sa tête. » La Science a parlé.
Suffoquant dans sa province, les Deux-Sèvres, peuplée de ploucs souvent incestueux (page 25) qui haïssent autant les femmes que les « intellos », traumatisé par la méchanceté et la bêtises des autres enfants, il rêve alors de fuir vers un Paris peuplé de gens à sa hauteur(7). Hélas, rebelle dans l’âme, il se met à frayer avec « les pires voyous » et à fumer du cannabis(8). Résultat, celui qui était promis à un parcours exceptionnel redouble sans succès sa classe de troisième dans une école privée et est orienté vers une filière professionnelle. Tout ça, c’est la faute à « l’institution scolaire [qui] ne se s’est jamais intéressée à moi et m’a rapidement marginalisé. Il y a là un problème de société majeur ». Allô maman bobo. Voilà notre héros qui se confronte à l’école de la vie en faisant mille petit boulots jusqu’à éviscéreur de dindes (pendant trois semaines). C’est du Zola ! Rassurez-vous, tout se termine bien : il regagne l’université et milite aux Jeunes socialistes pour entamer une parfaite carrière de petit technocrate dans des conseils régionaux puis des cabinets ministériels : « À peine embauché à la région Limousin, où, en dehors du pilotage des réseaux de jeunes socialistes, je m’ennuie ferme, je rêve donc d’en partir. » (Page 43.) Bigre, c’est l’aveu d’un emploi fictif ?!
Pour le reste, dans son livre, Aurélien Taché étale son immense culture historique qui lui permet de voir l’histoire de France de haut. Son horizon politique, lui, est parfaitement libéral dans la plus pure tradition anglaise, doublé de l’européisme le plus forcené. Loin des culs-terreux de la campagne, le député écologiste rêve des mégapoles, « villes-mondes de demain », « phares d'une nouvelle civilisation techno-écologique » devant lesquelles devront s’effacer les vieux États-nations. Mais le meilleur est pour la fin : en conclusion, Aurélien Taché nous présente son livre comme une « modeste analyse ». En réalité, comme tous ceux dont l’intelligence est dévorée par l’égo, Aurélien Taché est « un homme de 38 ans qui en a 10 dans sa tête ». On comprend qu’un tel immature ait été immédiatement séduit par Emmanuel Macron.
Mais Aurélien Taché n’est pas là pour rien : il est aussi le symptôme d’une époque. Il a été réélu avec 55,8 % des voix dans le Val-d’Oise (mais 21,5 % des inscrits seulement, alors que l’abstention atteignait près de 59 %), et les électeurs n’étaient pas forcés de le faire. La NUPES de M. Mélenchon lui a offert une nouvelle rampe de lancement et elle aussi aurait pu faire un autre choix. Surtout, il incarne ces jeunes qui voient leurs ambitions d’ascension sociale compromises dans le capitalisme libéral. Dans la folle fuite en avant, au fur et à mesure que l’État imprime de l’argent pour sauver le système de l’effondrement, celui-ci se soviétise. La conséquence est que la classe dirigeante, en collusion avec les milieux d’affaires, se mue en nomenklatura. Sans même s’en rendre compte, les jeunes gens des milieux favorisés jouent alors le jeu du vote « révolutionnaire » pour tenter de rejoindre cette dernière. D’où cette jeunesse des classes supérieures qui, à l’image de M. Taché, est passée du macronisme au vote NUPES. Entre Louis XIV et Che Guevara, l’essentiel est de rester le dominant.
Vincent Cheynet
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1 - Libération, 14 juin 2019.
2 - Aurélien Taché, Voyage d’un homme libre au pays de l’absolutisme, Le Seuil, 2022.
3 - « La même approche [libérale] vaut pour la procréation médicalement assitée (PMA), que l'actuelle majorité a refusé d'étendre aux per-sonnes transsexuelles, parce que jugées trop éloignées de la norme sociale dominante. Ou pour la gestation pour autrui (GPA), rejetée au nom du supposé combat contre la marchandisation des corps, alors qu'une GPA éthique, encadrée et réglementée pourrait être mise en place. J'y suis personnellement favorable. »
4 - Sud Radio, 20 avril 2021. Dans son livre le député fait même une proposition concrète : « Le Limousin organiserait une filière productrice et l'Île-de-France une de distribution : voilà un beau projet de coopération ! »
5 - Le député « écologiste » râlait ainsi sur CNews, le 27 mars 2022 : « Il faut être plus opérationnels sur les envois d’armes en Ukraine, ce n’est pas normal que ces livraisons n’interviennent pas après plus de 30 jours ! »
6 - Causeur, octobre 2016.
7 - On ne peut s’empêcher de penser ici à une version hétéro « cis-genre » du livre d’Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014).
8 - Quelque peu soupe au lait, Aurélien Taché en garde de mauvaises manières : il a été condamné à 5 000 euros d’amende en février pour avoir insulté des policiers qui intervenaient pour le secourir d’une agression.
Mort-vivant
Aurélien Taché cosigne la préface au programme des écolos pour 2022, Vivant. Parmi les priorités de ce programme écologiste :
− bloqueurs hormonaux pour tout.e.s : « L'accès aux traitements hormonaux se fera par consentement libre et éclairé, sans devoir passer par un.e psychiatre, respectant la liberté de chaque personne à choisir son médecin. Les trans mineur.es pourront accéder aux bloqueurs hormonaux avec l'accord de leurs responsables légaux ou sur la base d'une évaluation individuelle. » Big pharma est d’accord ;
− « plafond de surface maximale en mètres carrés par personne » déterminé par « un comité scientifique » ;
− traçage numérique intégral grâce à « une carte d'identité [qui] sera attachée à chaque produit, reprenant l'empreinte matière et l'empreinte carbone explicite » ;
− (Ré)éducation « obligatoire », « initiale et continue », « des personnels socio-éducatifs » « sur les questions de LGBTQI+ », et « éducation à la sexualité [...] renforcée en milieu scolaire à chaque cycle, avec une approche à la fois biologique, psychologique et sociale (stéréotypes de genre...) » basée sur la déconstruction de la famille et du « système patriarcal » ;
− culture inclusive : « nous voulons qu'une place équivalente soit accordée au patrimoine et au matrimoine dans les politiques publiques et les programmes scolaires » ;
− « pour une couverture numérique de l'intégralité du territoire, nous achèverons le plan France très haut débit en assurant son financement, aujourd'hui insuffisant. »
Etc. Bref, que du bonheur.
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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