par Paul Ariès
Nous sommes les premiers à reconnaître que tout ce qui se pense et se fait au nom de la décroissance n’est pas parole d’évangile. Nous tenons au débat car nous savons que notre seule force est celle de nos idées. Nous ne croyons ni à la vertu ni à la saveur des « pensées molles » mais à l’aiguillon des franches empoignades intellectuelles. C’est pourquoi lorsque nous avons appris que notre camarade écologiste Cyril Di Méo publiait sous le double patronage de l’économiste en chef d’ATTAC (Jean-Marie Harribey) et du « rédac chef » d’Alternatives-Economiques (Guillaume Duval) un livre de réflexion consacré à la décroissance nous avons cru, un instant, qu’un dialogue « durable » allait enfin se nouer avec les partisans de cette gauche plurielle et croissanciste…
La première lecture de ce brûlot laisse interloqué car les « secrets » laborieusement dévoilés par notre nouveau Torquemada constituent la matière des divergences théoriques et politiques qui opposent (le mot est faible) de façon publique les divers courants de la décroissance. Votre journal [La Décroissance] a livré un dossier sur ces « faux amis » en février 2006 et j’ai moi-même mis en garde contre ses « faux frères » dès le colloque international de Lyon (dont les actes furent publiés en 2000).
La répétition étant l’art de la pédagogie le professeur d’économie Di Méo aurait pu faire œuvre utile en vulgarisant six ans plus tard ces oppositions mais le tour de force de l’élu Vert est d’imputer, au nom d’une « responsabilité collective » et d’une « complicité objective » ces errements politiques à l’ensemble des objecteurs de croissance.
Di Méo marche en cela dans les traces de Luc Ferry qui au nom des dérives d’une certaine écologie profonde (bien peu représentée en France) tirait aussi à boulets rouges sur la totalité de l’écologie…
Cyril, si tu avais pour objectif d’engager un dialogue critique mais fraternel en rédigeant un livre intellectuellement honnête, c’est loupé ! En bon procureur, Di Méo ne discute pas des thèses : il les révoque. Il ne prend pas la peine de peser les arguments : il exécute leurs auteurs.
Cet opuscule est sur le plan formel intellectuellement scandaleux : déformation des faits, caricature des thèses de l’adversaire, oubli de tout ce qui ne cadre pas avec son analyse préconçue, erreurs manifestes ou mensonges éhontés pour faire plus vrai, logique permanente du soupçon, vision policière de l’histoire, refus de rectifier ses erreurs sur son site, surenchère médiatique : Di Méo en rajoute depuis la parution en qualifiant Vincent de Dick Cheynet.
On ne s’arrêtera pas sur les erreurs de faits qui ponctuent cet opuscule qualifié pourtant de « sans concession ni dérapage » par Guillaume Duval, mais on notera que Cyril Di Méo se garde bien de les rectifier (lorsqu’elles lui sont révélées) ne serait-ce que sur son blog. Curieuse pratique qui consiste à ne rectifier ses erreurs que sous la menace d’un procès (courriel de Vincent Cheynet) et à les dissimuler lorsque ma demande n’est fraternellement pas accompagnée d’un tel risque…
Lors des élections municipales du printemps 2008, Cyril di Méo (à droite sur la photo) entraîne les Verts d’Aix-en-Provence dans une union de la droite (Majorité présidentielle, UDF, Union pour Aix, Modem, Cap 21) derrière un membre du clan de Perretti. L’élu voynetiste mène ensuite campagne contre le candidat de l’union de la gauche. Le professeur du lycée militaire d'Aix-en-Provence contribuera largement à sa défaite et à la reconduction à la mairie de Maryse Joissains (UMP). Comme quoi les méthodes staliniennes consistant à qualifier ses contradicteurs de fascistes peuvent très bien s'accomoder du travail à l'union des droites. |
Chacun comprendra que l’intérêt de Di Méo soit de taire ses erreurs (car sinon sa belle construction se dé-tricoterait aussitôt) mais le véritable enjeu n’est-il pas d’en dissimuler l’origine incongrue ? Où Di Méo a-t-il péché, sinon dans les fonds de poubelle du site decroissance.info, que j’étais l’un des fondateurs du PPLD ou que j’appartiendrai à un courant spiritualiste chrétien, moi qui ne suis à ce jour encarté nulle part, et reste, Dieu merci, totalement athée. Soit Di Méo ignore que ce site est le relais des thèses qu'il prétend combattre (ce qui serait grave pour un « spécialiste » de la question) soit il choisit de faire alliance pour mieux combattre la décroissance telle que nous la comprenons et telle que nous l’aimons dans ce journal.
Serait-ce parce que les courants, les citoyens et les lecteurs qui partagent
ce projet de décroissance soutenable et équitable par le retour
au politique sont ceux qui menacent l’alliance des Di Méo (verts
ralliés), Harribey et Duval (gauche productiviste de cœur ou de
raison) ?
Le fonds du bouquin est tout entier dans sa démarche.
Le vieux Hégel ne disait-il pas que le fonds n’est que l’expansion
de la forme ? Reconnaissons cependant à Di Méo deux excuses :
le mauvais exemple que donne Guillaume Duval qui après avoir qualifié
les objecteurs de croissance de « léninistes verts » semble
voir désormais, en eux, d’affreux obscurantistes réactionnaires…
Si Di Méo fait le pari de « l’intelligence de la raison »,
personne ne pourra croire que Duval nous prête un zeste d’intelligence
du cœur… Nous ne serions donc que des analphabètes en économie
incapables de reconnaître que le capitalisme d’Etat chinois n’est
pas celui de Bush. Il est vrai que la critique de l’économie politique
ouverte par Marx est aux yeux de nos distingués économistes productivistes
que trop datée : quiconque remettrait en cause les catégories
de pensée de l’économie… serait un ignare, un fou
ou un dangereux terroriste.
Le cas Harribey est plus complexe car si l’économiste en chef d’ATTAC
reçoit la production de Di Méo comme une divine surprise, l’homme
est trop honnête pour s’en contenter et il doit bien reconnaître
au final que cette œuvre magistrale ne clôt pas le débat…
On se souvient comment Harribey avait du remballer dans sa musette sa notion de « décélération de la croissance » qu’il nous opposait : posture masochiste s’il en est puisqu’elle est celle de celui qui sachant qu’il va dans le mur se contente de ralentir pour mieux le voir venir.
On rirait volontiers d’une telle farce si l’affaire n’était pas sérieuse puisqu’elle a reçu depuis, également, l’onction éditoriale de Politis à travers la publication d’une tribune cosignée par Harribey et Di Méo.Ne nous trompons pas : le propos de Di Méo et consort n’est pas intellectuel mais politique au mieux encore d’appareil ou idéologique. Il n’est pas destiné à nourrir les débats mais à remplir des charrettes. Il s’agit d’exclure les objecteurs de croissance des milieux alternatifs. Il s’agit de couper l’herbe sous les pieds à tout ce qui pourrait menacer le mariage contre-nature entre une gauche productiviste indécrottable et les égarés de l’écologie encartés chez les Verts tendance Voynet. Les militants qui croyaient pouvoir être membres d’ATTAC et objecteurs de croissance sont sommés de choisir entre l’hérésie et la lumière qu’apporte Di Méo face aux nuées de réactionnaires spiritualistes. Le couperet est tombé : les ouvrages de la décroissance doivent être mis à L’Index et ses militants interdits de tribune… On tentera à l’occasion de récupérer, l’un ou l’autre, mais la messe est dite : il ne serait là que pour témoigner de ses mauvaises fréquentations et faire son mea culpa public (son auto-critique). Nous ne serions pas fréquentables mais, comme le clamait jadis l’église à propos des communistes, « intrinsèquement pervers ».
Pas besoin donc de faire de détail : les « décroissants » les plus « sympathiques » seraient, selon la bonne vieille rhétorique stalinienne, les pires car « objectivement complice » des autres.
Di Méo exige du groupe des lyonnais qu’il fasse des purges, qu’il
instruise des procès, qu’il brûle en public l’effigie
de Pierre Rabhi…
L’élu écolo confond visiblement débat politique et
maccarthisme.
La face cachée de l’ouvrage de Di Méo est de permettre à cette « gauche plurielle » de se claquemurer dans son pré-carré pour défendre ses positions de pouvoir institutionnel et intellectuel.
Nous serions d’autant plus dangereux que nous marcherions sur ses plates-bandes
en faisant des adeptes jusqu’au sein de la gauche et des verts. Un décroissant
à la sauce « nouvelle droite » c’est tout de même
moins gênant qu’un objecteur de croissance qui a le cœur républicain.
Les vrais adversaires de Di Méo et de ses acolytes ne sont donc pas ceux
qui prêchent la fin de l’universel et la mort de l’Etat social
mais le courant de la décroissance qui se veut humaniste et partageux.
Est-ce pour cela qu’il choisit d’ignorer notre position en faveur
d’un revenu universel inconditionnel lié à un revenu maximal
autorisé ? Pourquoi cache-t-il aussi notre combat en faveur d’une
ré-hiérarchisation des normes juridiques profitable aux plus faibles
? Je ne lui demande pas d’approuver « la gratuité de l’usage
» et « le renchérissement du mésusage » mais
d’admettre que ce paradigme n’est pas celui du chacun pour soi et
du retour à la terre qui ne ment pas. Tout ce qui menace la « gauche
productiviste » est dangereux.
Tout ce qui sape l’hégémonie des Verts majoritaires est
inacceptable.
Cet aveuglement sélectif de Di Méo est d’autant plus regrettable que l’auteur de la face cachée de la décroissance ne dit pas que des bêtises. Il en dit d’autant moins qu’il fonde presque intégralement sa critique judicieuse des faux amis de la décroissance sur nos propres ouvrages. Pas une seconde, il ne lui vient à l’idée de s’interroger sur la raison qui nous a poussé à multiplier ses mises en garde contre l’anti-spécisme, contre le malthusianisme, contre l’anti-féminisme ?
Nous sommes certes menacés comme tous les courants d’idées par des mouvements régressifs que l’échec du modèle productiviste (capitaliste et socialiste) a réveillé, d’autant plus que l’expérience gouvernementale de sa gauche plurielle a brouillé les cartes. Au lieu de constater que les mises en garde proviennent d’abord des rangs de la décroissance, il en conclut que tous les objecteurs de croissance seraient des ennemis des pauvres, des femmes et du Sud. Ceux qui ne l’avouent pas seraient des dupes ou des salauds. Ceux qui prétendent marier à la fois les questions sociales et environnementales par un retour au politique sont bien sûr les pires.
Finalement Di Méo rejoint la Nouvelle droite et les amis de de Benoist pour dire qu’il n’y a pas pire décroissants que ceux du journal La Décroissance. Les objecteurs de croissance seraient des ennemis du peuple à rééduquer à ATTAC (entre le truquage de deux élections) et chez les Verts (bientôt la nième tendance du parti travailliste français). Répétons-le pour ceux qui choisissent la surdité comme boussole. La décroissance ne se veut nullement une « politique d’accompagnement » de la nouvelle pauvreté.
Je mets Di Méo au défi de trouver un commencement de preuve de cette prétendue thèse dans mes vingt et un ouvrages publiés… Notre décroissance est d’abord celle des inégalités par le partage. N’est-ce pas lorsque son parti était au pouvoir que le nombre de pauvres a explosé et que les contrats atypiques se sont multipliés ? Est-ce nous qui avons réhabilité le monde de l’entreprise ?
La décroissance n’entend pas davantage contribuer à la privatisation du social puisque nous sommes pour une ré-institutionnalisation qui passerait notamment par une refonte des services publics existants. Dire que nous préférons les TER aux TGV est-ce être anti-social ? N’est-ce pas cette gauche plurielle et ses verts ralliés qui ont oublié que la vitesse est aussi un facteur accru d’inégalité sociale ?
La décroissance n’est en rien une entreprise de dépolitisation.
Di Méo le sait trop bien c’est pourquoi il passe volontairement sous silence les Etats Généraux de la décroissance équitable de Lyon. A-t-il réfléchi aux raisons (et aux réseaux responsables) de leurs échecs ? A-t-il lu seulement l’appel à la « désobéissance civique » à l’occasion du procès des « déboulonneurs » de Montpellier ?
Pourquoi Di Méo est-il frappé de mutisme face à l’implication de nombreux objecteurs de croissance dans les rebellions de ces dernières années : contre la Malbouffe, contre McDo, contre le harcèlement au travail, contre les sectes, contre les OGM, contre l’agression publicitaire, contre la bagnole, les loisirs motorisés, la ionisation des aliments ; en faveur de la relocalisation, de la re-saisonnalisation, etc.
Ce silence a pour fonction de cacher les désaccords fondamentaux que
nous avons avec la gauche productiviste et l’écologie ralliée.
Di Méo fait mine de croire que nous serions tous des adeptes d’une
décroissance spirituelle, malthusienne, réactionnaire car cela
lui permet d’inventer de faux désaccords pour masquer nos différends.
Nous ne partageons pas la thèse de Di Méo (des Verts ? d’ATTAC) selon laquelle la société de consommation aurait été une période historique positive : jusqu’à présent cette caution apportée au fordisme était celle de la gauche productiviste ( à l’instar de Thomas Coutrot, autre économiste distingué d’ATTAC considérant que le capitalisme aurait fait la preuve, durant les Trente glorieuses, de la possibilité de lier croissance économique et développement humain) mais on découvre, avec Di Méo, que cette défense de la société de consommation se porte aujourd’hui très bien dans les rangs des Verts. Pour Di Méo, le fordisme fut une période de ré-encastrement de l’économie dans le social ; pour nous, ce fut l’extension des rapports de production capitalistes jusque dans la « consommation ». Pour Di Méo, la critique de la société de consommation et de la société salariale serait datée ; pour nous il convient de sortir de l’une comme de l’autre en rendant aux usagers la maîtrise de leurs usages. Là où Di Méo rêve d’étendre toujours plus cette belle société de consommation et cette douce et merveilleuse entreprise qui créé le développement ; nous nous refusons comme forçats de la consommation et du travail. Pour nous, l’écologie ne se réduit pas à repeindre en vert les guérites de la société de consommation.
Chiche Harribey…
engageons un vrai débat sur le bilan du fordisme…
Nous ne partageons pas davantage le choix mondialiste de Di Méo. Nous
sommes convaincus qu’il existe une alternative entre la mondialisation
et le repli sur le narcissisme des petites différences. Nous sommes pour
une définition politique (et non éthnique ou naturelle) des territoires
et nous voulons le « local sans les murs ». Nous sommes pour le
droit à la ressemblance avant celui à la différence.
Chiche Harribey…
Engageons un vrai débat sur le choix mondialiste…
Nous avons enfin un désaccord complet sur l’alter-consommation.
Di Méo est partisan d’un petit commerce équitable à
la Max Havellar alors que nous nous retrouvons dans le grand commerce équitable
prôné par Action Consommation, Nature & Progrès ou la
confédération paysanne. Nous n’avons pas foi dans les mouvements
de consommateurs pour changer la société et nous ne cessons, au
contraire, de dire que l’on vote d’abord avec son bulletin de vote.
Di Méo sait-il qu’en se faisant le champion du commerce équitable, il recycle la notion de juste prix empruntée à Saint Thomas d’Acquin ?
Chiche Harribey…
Engageons un vrai débat sur la grève générale de
la consommation…
Paul Ariès
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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