Texte extrait de La Décroissance n°63, octobre 2009 (en kiosque le 30 septembre), reproduit avec leur aimable autorisation.
Non, contrairement à ce qu'écrit la version française de la revue The Ecologist, Teddy Goldsmith n'était pas « le grand-père des écologistes »*, en tous cas pas de tous, et certainement pas le nôtre.
Teddy Goldsmith est mort le 21 août dernier. Son décès a été évoqué par Hervé Kempf dans Le Monde (ici) comme celui d’un des « parrains » de l’écologie. Le journaliste a su montrer les contradictions personnelles du fondateur de The Ecologist prônant la simplicité volontaire (si ce n’est l’austérité) pour les autres mais vivant dans le grand luxe, côtoyant la très bonne société et prenant l’avion plus souvent qu’à son tour. Nous n’instruirons pas ce procès car chacun assume ses propres contradictions et concilie comme il le peut son mode de vie et ses convictions. Nous nous intéresserons en revanche davantage aux idées d’Edward Goldsmith : est-il véritablement le « pape de l’écologie », comme le clame Jean-Marie Pelt ?
Maître à penser pour certains mais certainement pas de tous les écologistes : l’écologie compte plusieurs chapelles qui ont parfois de bonnes raisons de s’étriper. Grand admirateur de Nicholas Georgescu-Roegen sans doute, mais pas à la façon des objecteurs de croissance que nous aimons. Le concert de louanges qui a entouré sa mort, au-delà de l’hommage propre à l’exercice nécrologique, est typique du consensus mou dans lequel baigne aujourd’hui l’écologie. Il est aussi symptomatique de l’incapacité actuelle de lire des thèses pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire en comprenant les valeurs qui les sous-tendent et leurs conséquences pratiques.
Inacceptable
Le modèle de société prôné par Goldsmith est pour nous inacceptable car les valeurs qui sont les siennes sont opposées à celles de notre journal. Nous ne pouvons donc pas laisser dire ni même sous-entendre que ses thèses seraient les nôtres ou proches des nôtres. Il ne faut pas considérer ces combats de valeurs comme sans intérêt intellectuel ou pratique. Teddy Goldsmith était bien, pour reprendre les termes du journaliste, « le grand témoin d’un courant essentiel de la critique écologique, que l’on pourrait qualifier de conservateur si ce mot avait encore un sens ». Dire qu’il y a des choses à conserver, remettre en cause le dogme du progrès, ce n’est pas la même chose qu’opter avec Teddy Goldsmith pour un point de vue réactionnaire. Zac Goldsmith, l’héritier de la famille, est d’ailleurs cohérent puisqu’il a rejoint le Parti conservateur britannique au titre de son admiration pour Thatcher. Nous ne partageons donc pas l’opinion de Kempf lorsqu’il ajoute que l’écologie politique ne devrait pas oublier ce courant conservateur « sous peine de s’assécher et de se stériliser ». Nous ne devons certes pas l’ignorer mais bien au contraire le combattre pied à pied.
Le « Teddy écolo » cache en fait un défenseur acharné des sociétés inégalitaires. Toute son intelligence – et elle fut grande – a été d’utiliser l’écologie pour passer en contrebande des thèses idéologiquement et politiquement plus que douteuses. Goldsmith savait parfaitement ce qu’il faisait et il n’était pas dupe de ses propres silences lorsqu’il laissait ses lecteurs tirer eux-mêmes les conclusions de ses écrits. Le fait qu’il ait soutenu financièrement des centaines d’organisations et de combats ne suffit pas à le rendre sympathique, car ses motivations n’étaient pas les nôtres. Oui, il fut l’un des pionniers de la lutte contre la mondialisation et contre les OGM. Oui, il défendit les peuples indigènes et leurs modes de vie traditionnels… Les objecteurs de croissance auraient cependant tort d’en rester à ce constat, c’est-à-dire de ne pas s’interroger sur ce qui fait système dans sa pensée.
Société fermée
Teddy Goldsmith était un réactionnaire au sens le plus profond du terme. Son modèle de société était celui des latifundia, avec son petit peuple besogneux, uni sous la figure toute-puissante du patriarche symbole d’une hiérarchie sacrée. Ce modèle de société fut fondamentalement celui d’un apartheid généralisé dans lequel les cultures, loin de se métisser, défendent leur propre identité. Une identité qui obéit à des lois naturelles totalement déterministes. Son point de vue est celui d’une extrême droite intelligente. Ces milieux ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, faisant toujours de ses ouvrages une bible pour la formation de leurs cadres. Les identitaires le confient encore aujourd’hui avec admiration : Teddy Goldsmith nourrit intellectuellement leur famille de pensée. J’ai toujours eu le sentiment que de la même façon que les entreprises verdissent leur image pour continuer à faire des affaires tandis que le navire coule, Teddy Goldsmith verdissait les thèses contre-révolutionnaires les plus éculées pour les rendre plus « modernes » donc acceptables par le grand nombre. L’homme parfait est, selon lui, celui qui se soumet aux lois de la nature dans le cadre d’un monde hiérarchiquement organisé, un monde dans lequel, pauvres et riches, hommes et femmes, chacun devrait veiller à bien occuper la place qui lui a été assignée par la divine providence ou Gaïa. Un monde dans lequel la soumission aux lois de la nature dérive très vite vers une soumission aux autorités naturelles (celle du Chef, celle du Leader), vers une soumission à des principes autoritaires y compris dans le domaine de la vie privée, comme sur le plan conjugal ou sur la question de faire ou pas des enfants. Son système ne laisse aucune place à ce qu’il nomme les « déviants sociaux ».
S’il refuse la mondialisation, ce n’est pas tant parce qu’elle assure plus encore la domination des uns sur les autres et de tous sur la planète mais parce qu’elle détruit les formes traditionnelles de domination, autrement dit le respect que chacun devrait à une hiérarchie sociale donnée comme invariante. Nous ne considérerons jamais que la société féodale fut le sommet de l’humanité. Nous n’admirerons jamais les sociétés de castes dès lors que l’égalité n’existe pas. Nous ne légitimerons pas davantage le servage au nom du respect de l’ordre naturel. Nous ne voyons pas dans les sociétés humaines des clones des colonies animales ou des sous-systèmes de Gaïa, définie comme une hiérarchie stable.
Valeurs
Goldsmith refusait le darwinisme car il refusait toute idée d’évolution hasardeuse. L’évolution ne pouvait, selon lui, qu’être dirigée et donc s’imposer aux humains. La grande caractéristique de sa pensée est ce glissement constant de la science à l’idéologie, ce qui lui permit de refuser tout débat sérieux avec ses détracteurs en leur prêtant des positions caricaturales et en fondant ses propres thèses sur des faits souvent erronés.
L’écologie à la Teddy Goldsmith est celle qui peut nourrir une écologie à la de Villiers. Nous pouvons partager certaines luttes, comme celle contre la destruction des abeilles. Mais nous n’allons pas au combat au nom des mêmes valeurs, ni dans le même but. La société idéale dont rêvait Teddy Goldsmith restait une société foncièrement inégalitaire. Cette société était bien peu politique car largement soumise à des impératifs religieux. Teddy Goldsmith était et restera l’un de nos adversaires politiques, et lui-même le savait bien.
* Pas davantage que notre ami Serge Latouche n'écrit de « bible » de la décroissance, mais des ouvrages qui prêtent à débat, comme tous.
Lire aussi : « Notes de lecture du livre d'Edouard Goldsmith » par Henri Morel-Maroger.
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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