Pauvre Le Monde, le quotidien du soir des marchés. On connaît ses héros : les apôtres du socialisme et de l’écologie de marché ; M. Vincent Peillon, M. Daniel Cohn-Bendit et consorts. On connaît aussi ses méthodes pour salir leurs contradicteurs et dissidents. Nous vous avions rapporté que le 2 décembre 2006, alors que Le Monde s'intéresse exceptionnellement à la décroissance, c’est aussitôt pour l’entacher du soupçon de « liens qu'entretiennent certains décroissants avec des mouvements d'extrême droite. » (Elise Vincent) (ici). Les réponses proposées alors au journal resteront lettres mortes.
L’impossibilité de poursuivre dans la voie de la croissance infinie étant sans doute aux yeux du quotidien « de référence » un sujet de peu d’importance, Le Monde ne s’était pas penché depuis sur le mouvement des objecteurs de croissance (hormis les calomnies coutumières des chroniqueurs économiques Eric Le Boucher, Pierre-Antoine Dehommais ou d’autres collaborateurs) (1). En revanche, nous avions alerté nos lecteurs sur le portrait laudateur et sans discernement paru dans Le Monde sur un des penseurs de l’écologie pour le coup véritablement réactionnaire (28-8-2009) (ici).
Le 15 novembre 2009, sous la plume de Sylvia Zappi, Le Monde consacre un article à notre sujet. Il est intitulé : « La crise relance le thème de la décroissance ». Cet article est sous-titré : « Une partie de la droite, de la gauche et des Verts réfléchissent aux voies d'une “autre croissance” ». Voilà qui est cocasse alors qu'un des fondements de l’argumentaire des objecteurs de croissance est de démontrer que l’« autre croissance » est un piège. La journaliste rassure d’ailleurs aussitôt ses lecteurs en interrogeant Jérome Fourquet, directeur de l'IFOP : « Plutôt que de décroissance, il s'agit d'une autre croissance [souhaitée] » (…) « Les Français ont envie d'un mode de consommation en harmonie entre ce qu'ils estiment bénéfique pour la société et ce dont ils ont besoin", complète Jean-Daniel Lévy, directeur de CSA-opinions. » Tant que nous restons dans la croissance et la consommation, tout va bien pour la presse de marché. Les Verts et la la fondation « Terra Nova » du Parti socialiste sont cités en exemple pour leur capacité à prendre en compte de cette problématique « sans endosser les habits de Cassandre ». Pourtant, les Verts à la mode Daniel Cohn-Bendit sont les plus zélés apôtres de capitalisme vert (ici). Dany l’orangé qualifie même les objecteurs de croissance de « cinglés » (Arte, 6-6-2009). Bien que du parti Les Verts, le député Yves Cochet, plus lucide et mieux informé, reconnaît lui-même que les thèses de la décroissance sont très minoritaires dans son mouvement. Quant à Terra Nova, ce n'est rien de moins qu'un « think tank » du socialisme de marché le plus échevelé, d'ailleurs régulièrement dénoncé par les objecteurs de croissance…
Et les « théoriciens » de la décroissance ? Aucun n’a la parole dans l’article. On passera sur les erreurs factuelles : contrairement à ce qu’écrit Sylvia Zappi, Paul Ariès n’est pas adhérent du Parti de gauche.
Mais surtout, cet article est immédiatement accompagné d’un grand encadré, quasiment aussi long que l’article, intitulé : « A l'extrême droite aussi, on refuse les "dérives productivistes et mercantiles" ». Le lecteur peut averti y comprendra que refuser le mercantilisme, le productivisme, la démesure ou de critiquer l’idéologie du progressiste, si chère à Claude Allègre, revient à partager les thèses de l’extrême droite. Pour Le Monde, Gandhi aurait été suspecté de lepénisme. Le Monde est-il fasciste puisque, comme Mussolini, il souhaite la croissance ? Ancien rédacteur en chef du Figaro Magazine, Patrice de Plunkett n'est pas dupe de ce type de pratique et l'analyse sur son blog (ici).
Journalisme de marché et méthodes staliniennes font décidément très bon ménage.
Vincent Cheynet, le 18 novembre 2009
1 - Nous vous en livrons ici un échantilon : « mode de la bobo-décroissance » (19-9-2009), « Malthusianisme » (29-10-2006), « lubie de gosses de riches parfaitement égoïstes » (29-7-2006)… Le pire est atteint par Pascal Bruckner, philosophe médiatique néoconservateur et défenseur de la guerre en Irak de George Bush Junior, le 6 mai 2009, dans le supplément « M » du Monde : « La dépression actuelle est, pour beaucoup, l’occasion de remettre en musique le vieil idéal ascétique. Entendez la longue cohorte des cafards, des bigots, à droite et à gauche, qui nous prêchent du “il est temps de se serrer la ceinture, de revenir à la lampe à huile et à la carriole à cheval.” » (...) « L’avarice (dont l’étymologie est la même qu’avidité) est devenue, en ce début de siècle, une vertu civique, en quoi nos activistes verts et autres décroissants se tiennent sous la coupe d’un ethos utilitariste qui les obsède. » (...) « Rien de plus laid, de plus tordu que l’éloge de la pauvreté mené par certains doctrinaires, comme si elle était par elle-même dotée d’une vertu suprême. » (...) « Le goût des aises n’est pas obscène ou ramollissant, il est émancipateur (…) le consumérisme va de pair avec la passion d’être soi, et la technique, contrairement à ce que croient les passéistes, n’est nullement artificielle, elle est devenue une seconde nature, une extension de notre système nerveux qui agrandit chacun de nous. » Voir aussi notre rubrique « insultes - sottises »
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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