L’automobile en France, c’est comme la croissance : tout est bon pour éviter de la remettre en cause. Comme la croissance, industriels et médias dominants à leur service s’évertuent à la maquiller en « verte », « propre » ou « durable » pour mieux nous faire oublier une cruelle réalité : épiphénomène spatial et temporel, la civilisation de l’automobile est insoutenable. Nicholas Georgescu-Roegen affirmait : « Chaque fois que nous produisons une voiture, nous le faisons au prix d'une baisse du nombre de vies à venir ». Néanmoins, si la voiture propre n’existe pas, la voiture « moins sale » si. Elle est extrêmement simple à mettre à place tout de suite et à grande échelle. Il suffit de limiter la cylindrée des automobiles. Une mesure politique évidente que se refuse à mettre en place actuellement notre société. A la place, les journalistes des médias dominants s’émerveillent devant des 4 x 4 et des voitures de sport équipés de moteurs hybrides et donc renommés « voitures propres »[sic]. Néanmoins, limiter la cylindrés de automobiles ne doit pas avoir pour effet pervers de rendre plus pérenne la civilisation de l’automobile. L’objectif doit bien être de s’affranchir de cette objet et du modèle de civilisation qui lui est lié. Jean-Marc jancovici affirme avec raison face à la question « Qu’est-ce qu’une voiture propre ? » « C’est pas plus de 50 millions d’unités sur la planète ». Autant dire pour nous les ambulances et les camions de pompiers.
Avant même d'avoir fait son premier kilomètre, une automobile aura produit une part importante de sa pollution. Chaque nouvelle voiture demande pour sa construction 300 000 litres d'eau. L'édification d'un véhicule, « propre » ou non, exige 20 fois plus de matières premières que son seul poids, soit 30 tonnes pour produire une voiture de 1,5 tonne (1). à l'autre bout de la chaîne, ce sont deux millions de véhicules particuliers légers qui sont jetés annuellement en France, soit, notamment, 280 000 tonnes de vieux pneus, 30 000 tonnes de résidus de batteries et 400 000 tonnes de déchets industriels spéciaux (2). Même si une partie de plus en plus large de ces déchets sont recyclés, leur transformation entraîne à son tour de nouvelles pollutions.
Dotée d'un parc nucléaire surdimensionné, la France cherche à promouvoir la voiture électrique sous le label « voiture propre ». Pourtant, celle-ci présente un écobilan largement inférieur à un véhicule classique, à moteur thermique embarqué. D'après l'ADEME (3), la voiture électrique nécessite 62 % d'énergie en plus pour le même rendement. L'énergie est produite hors du véhicule. Elle doit donc être transportée, puis stockée, ce qui engendre à chaque étape d'importantes déperditions. Les batteries (plomb, cadmium ...) nécessaires à ce stockage sont elles-mêmes hautement nocives et produisent des déchets à durée de vie infinie. Un des rares avantages du véhicule électrique est le faible niveau de nuisance sonore à faible vitesse. A partir de 60 km/h, ce gain disparaît, les bruits de frottement l'emportant sur ceux du moteur.
La belle légende du moteur à eau
« Le moteur à eau existe et il ne demande qu’à être
développé. Il suffira bientôt de remplir le réservoir
de son automobile avec de l’eau pour faire avancer sa voiture. Cette invention
n’est pas mise en œuvre à cause des compagnies pétrolières
qui rachètent tous les brevets pour continuer à engranger des
milliards sur le pétrole et protéger leur business. On dit même
que les géniaux inventeurs seraient discrètement assassinés.
» Voici en quelques phrases résumé ce mythe du « moteur à
eau », largement répandu dans notre société1.
Cette belle fable, si elle répond parfaitement à un fantasme collectif,
ne résiste malheureusement pas à la réalité. Le
« moteur à eau » est assimilé à deux types
de production énergétique directement associés à
l’eau.
Le moteur à hydrogène.
En associant 2 molécules d’hydrogène à 1 molécule
d’oxygène, on obtient une explosion (qui produit de l’énergie).
Pour obtenir ces molécules d’hydrogène, la solution la plus
fiable est d’utiliser l’électrolyse de l’eau. On sépare
alors l’oxygène et l’hydrogène des molécules
d’eau. Mais l’électrolyse nécessite de l’énergie.
Selon les lois de la physique, si l’explosion des molécules d’oxygène
et d’hydrogène fournit de l’énergie, séparer
ces mêmes molécules nécessite un apport d’énergie
au moins équivalent à celui produit par l’explosion. Entre
les deux manipulations, il y a déperdition : le bilan énergétique
de l’opération est forcément négatif. Contrairement
au pétrole ou au gaz, l’hydrogène n’existe pas à
l’état naturel. Il ne peut être qu’un vecteur d’énergie,
comme une pile classique.
La voiture hybride
Les « voitures hybrides », type Prius, font état d’un écobilan calamiteux. En effet, si en fonctionnement elle émettent moins de gaz carbonique que les automobiles classiques, la prise en compte de l’ensemble de la chaîne – fabrication, fonctionnement, recyclage – leur est très favorable. Ces automobiles font appel pour leur fabrication à des matériaux rares nécessitants beaucoup d’énergie pour leur extraction et leur transformation. Les batteries qu’elles utilisent pour stocker l’énergie sont un fléau environnemental. Ceci autant à cause des matières premières nécessaires à leur fabrication que lorsqu’elles deviennent des déchets hautement toxiques. Ces véhicules sont dotés de deux moteurs ce qui aggrave d’autant leur écobilan.
Le moteur pantone
C’est une technologie ancienne. Il s’agit d’ajouter un peu
de vapeur d’eau dans un moteur à combustion classique afin d’en
améliorer le rendement. Cet ajout d’eau ne peut être que
très marginal. Le système pantone fonctionne sur des gros moteurs
fixes (comme un groupe électrogène) car l’injection d’eau
alourdie les véhicules (réservoir d’eau, pompe, etc.). L’amélioration
du rendement ne compense pas le surplus de consommation lié à
l’augmentation du poids du moteur.
Pourtant, même si elle est totalement irrationnelle, cette idée du « moteur à eau » n’en demeure pas moins un mythe très populaire, et ce jusque dans les rangs des écologistes !
Fantasme facile
Le « moteur à eau » révèle simplement
un fantasme bien ancré dans notre inconscient collectif. Dans notre société
de consommation, c’est-à-dire celle de l’inversion des valeurs,
la science a été inconsciemment sacralisée. La science,
« on y croit », on a la « foi »
dans les capacités de l’homme à trouver de nouvelle technique.
Surtout, cette croyance permet de s’affranchir de sa responsabilité
personnelle et politique. Je peux continuer à rouler en voiture sans
me remettre en cause puisque je transfère ma responsabilité sur
de méchantes compagnies pétrolières qui cachent les solutions
permettant de rouler sans polluer… Malheureusement, cette idée-là
est encore une fois totalement contredite par les faits. Les premiers investisseurs
dans les énergies alternatives sont aujourd’hui les compagnies
pétrolières. Le Pdg de la BP (British Pétroleum) a dit
en 2002 que BP devait signifier maintenant « beyond petroleum »
(au-delà du pétrole). Les premiers à tirer la sonnette
d’alarme et à rappeler qu’il n’y a aucune alternative
à notre consommation actuelle de pétrole sont souvent des anciens
cadres de l’industrie pétrolière.
Les biocarburants : un mythe à couler
Nous pouvons dire que le pétrole est un biocarburant. Un litre
de pétrole est constitué de 23 tonnes de matières organiques
qui ont été transformées sur une période d’au
moins 1 million d’années. Tout cela pour faire avancer une automobile
de 15 kilomètres en moyenne ! Un autre « bio-carburant »,
le bois, est beaucoup plus rentable. Pour faire avancer la voiture de 15 kilomètres,
il suffit de 15 kg de bois dans un moteur à gazogène. Problème :
il faut démarrer le moteur à gazogène 90 minutes avant
de partir. Autre problème : voici 200 ans, la France était
pratiquement dépourvue de forêt, tant le bois était recherché.
Il était une ressource précieuse que nos ancêtres réservaient
à la construction, au chauffage ou à la cuisson des aliments.
Vital, il était impensable de s’en servir pour des usages superflus.
Or, c’est exactement ce que nous proposent les adeptes des biocarburants
à grande échelle.
Manger ou conduire
Lorsque le pétrole va se raréfier, c’est-à-dire très
bientôt, les rendements de l’agriculture vont diminuer, car les
engrais deviendront rares ou très chers (les engrais sont constitués
de produits de synthèse fait à partir de pétrole ou sont
importés grâce au pétrole). La France va devoir nourrir
60 millions de personnes sans engrais autres que naturels. Il faudra sortir
des monocultures intensives pour retrouver une agriculture paysanne ayant de
faibles besoins énergétiques.
Pour remplacer tout le pétrole utilisé actuellement dans les transports par de l’huile végétale, il faudrait multiplier par trois les surfaces cultivées en France, et les consacrer uniquement au pétrole ! Les biocarburants à grande échelle ne peuvent être que le fruit d’une monoculture qui nécessite beaucoup d’engrais et d’énergie, voire des OGM, à l’opposé de l’agriculture « bio-durable ». Qu’allons- nous préférer : produire de la nourriture pour tous ou cultiver des biocarburants pour le tiers des automobiles et camions français ? Dans le futur, les biocarburants ne pourront servir que pour des applications de première nécessité : pour les ambulances ou des travaux pénibles qui nécessitent beaucoup d’énergie, dans l’agriculture par exemple. Pour cela l’huile de tournesol semble la plus cohérente : elle a besoin de peu chimie. Ce n’est pas le cas du diester (à base d’huile végétale) et l’éthanol (fabriqué à base de betterave ou de blé) produit grâce à des réactions chimiques à base de… pétrole. Mais, même dans le cas de l’huile, la rentabilité énergétique est en question. Pour produire 1 litre de biocarburants, la consommation peut atteindre 0,9 litre de pétrole1. Dans ce cas mieux vaut utiliser directement le pétrole : on pollue deux fois moins. Selon une étude publiée dans la revue scientifique Critical Reviews in Plant Science : « La production d’éthanol nécessite la consommation de six unités d’énergie pour produire une unité d’éthanol. » Les biocarburants vont de toute façon se retrouver en concurrence, s’il reste des surfaces agricoles disponibles, avec les animaux de trait. Tracteurs ou percherons que le meilleur et le plus durable l’emporte !
Se libérer d'une perception de la science pervertie en foi.
En matière d’énergie, la pire des catastrophes écologiques
serait l’arrivée d’une source d’énergie gratuite
et infinie, et cela même si elle était « non polluante ».
En effet, toute production d’énergie induit inéluctablement
la consommation d’autres matières premières. Moins nous
produisons d’énergie, quelle que soit la source, moins nous polluons
et moins nous consommons de ressources naturelles.
Effet pervers de la « voiture écologique »
La « voiture écologique », qui ne consomme que trois litres
tous les 100 km, rend la conduite automobile meilleur marché est plus
attrayante. Le nombre de voitures sur les routes et le nombre de kilomètres
parcourus augmentent en conséquence. Il s'agit du même effet pervers
que pour les véhicules neufs : l'automobiliste recourt plus facilement
à une automobile en bon état, surtout si elle bénéficie
d'un label environnemental. Son déplacement ne se reportera alors pas
sur un mode véritablement écologique (marche à pied, vélo,
transport en commun...). De plus, si les véhicules neufs émettent
moins de CO2, ces gains sont souvent annulés par l'arrivée de
la climatisation en série, grosse dévoreuse d'énergie et
productrice de polluants hautement toxiques (CFC...).
L'automobile : avant tout une civilisation
La pollution atmosphérique, le pillage des ressources naturelles non-renouvelables
et les déchets ne constituent qu'une partie des nuisances de la «
voiture propre ». Le bruit, les millions de morts, de blessés,
avec leur cortège de traumatismes physiques et psychiques, l'insécurité,
le stress, la haine, l’envahisment de l’espace, le bétonnage
et la déshumanisation de notre cadre de vie demeurent. Même mue
par un moteur au jus de carotte bio, l'automobile resterait la principale source
de nuisances écologiques et sociales de nos civilisations. La pollution
atmosphérique ne fait que nous la rendre plus visible.
Il est important de comprendre que l'achat d'une voiture ne se limite pas à l'acquisition du véhicule en tant que tel mais aussi à tout l'univers qui lui est lié, c'est-à-dire des autoroutes, les rocades, les stations-service, les pétroliers pour transporter le carburant, les grandes surfaces (atteignables grâce à la voiture), les usines (pour produire ces automobiles et cet univers)... tout un milieu qui engendre un mode de vie à l'origine de la majeure partie de la crise environnementale. Utiliser une automobile de petite cylindrée est bien sûr mieux que de rouler dans un 4X4, mais dans un cas comme dans l’autre c’est toujours quatre roues sur une caisse roulant à vive allure qui formate un environnement qui sera quasiment le même dans un cas comme dans l’autre. Rappelons que 80 % de la population mondiale n’utilise pas de voiture, que l’automobile ne s’est généralisée en Europe que depuis 40 ans. L’automobiliste est un marginal tant dans le temps que dans l’espace.
L'obsession de la recherche d'une solution technique aux nuisances causées par l'automobile est symptomatique de l'idéologie dominante. Les scientistes voudraient qu'au nom du réalisme, nous fassions une croix sur notre rêve humaniste d'un monde sans voiture. Non seulement une approche véritablement rationnelle exige exactement l'inverse, mais, nous le savons, la seule réponse crédible à la crise écologique est culturelle, philosophique, politique. Les réponses techniques, si elles sont importantes, demeurent secondaires. Le problème n'est pas de construire des voitures propres, mais d'arrêter de produire des voitures. Le discours des défenseurs de « l'automobile écologique » rejoint en fait celui des promoteurs du « développement durable » ou de la « croissance soutenable ». Il consiste à repeindre en vert un système fondé sur deux croyances irrationnelles : le caractère infini des ressources planétaires et la capacité illimitée de la biosphère à absorber notre expansion. Une attitude culturellement contre-productive, car elle cautionne un système fondamentalement destructif. A l'image de la voiture propre vantée par EDF, elle présentera un écobilan négatif.
Vincent Cheynet
Lire aussi :
Automobile
et décroissance
et par Jean-Marc Jancovici : Que
pouvons nous espérer des biocarburants ?
1 - T&E Bulletin - n° 89 - Juin 2000.
2 - L'auto ou la ville - n° 2 - Avril 1996.
3 - Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie.
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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