Jujube continue d’avoir mal aux sabots quand elle marche sur les pierres. Elle passe de manière héroïque une grosse rivière gonflée par les pluies près de Barjac. Je lui met les chaussons qui impressionnent beaucoup les habitants de Cénaret. A Vayrac, un paysan m’offre un abris face à l’orage. Il me parle de son désespoir avec la pluie qui fait pourrir sa récolte de céréales qu’il n’avait pas encore moissonné. Il me parle du temps ou il allait à Chirac avec sa Jument. Il est très impressionné par les chaussures de Jujube.
Dans le beau village de Grèzes sur un Truc (montagne locale), alors que j’attendais mon frère, on m’a offert un évangile. « On est pas de la même conviction mais c’est bien de se rencontrer », a-t-il dit.
Olivier est arrivé avec la troupe de théâtre « néo-vent » qui venait de jouer à la Bastide Puy St Laurent. Les frères Schneider semblent écumer la région.
Juste le temps de voir qu’il avait oublié ses affaires de pluie, et nous avons essuyé un énorme orage, le premier bizarrement. Les chaussons de Jujube la faisaient patiner dans la boue, il a fallu s’arrêter du coté de Palhers avant Chirac (à la ferme de Pradassoux) chez un éleveur de brebis qui nous a aimablement offert l’hospitalité dans sa Grange. Il a ôté les bottes de pailles qui pouvaient tomber (« des scouts sont morts étouffés par des bottes de paille écroulées ») et nous a préparé un somptueux matelas de paille avec un lève-charge.
Après son petit déjeuner de foin, nous avons mis les chaussons goudronnés sur les sabots de Jujube et nous sommes partis. Nous avons petit déjeuné à Chirac en passant par Bonnet de Chirac. En ce lieu et un peu partout dans la région on peut voir des installations pour ferrer les ânes, chevaux ou vaches, un petit rappel du temps de splendeur de la traction animale. A Chirac, Olivier a repris des forces avec les croissants et le café parisien. Les panneaux de sortie de Chirac avec des chiracs barrés sont paraît-il très recherchés pendant les campagnes électorales. La route était longue et Jujube avançait lentement avec ses chaussons de caoutchouc. Elle a visiblement un problème : les chaussons la blessent. Manu et yves sont venus nous chercher en bétaillère à St Germain du Teil pour arriver à temps pour la conférence. L’idée d’utiliser ce moyen de transport polluant ne faisait visiblement pas plaisir à notre ânesse.
Jujube a été logée en ville à St Laurent d’Olt dans un petit jardin sympathique d’un couple d’artistes talentueux (Frédéric Bourgin et Emmanuelle Porcheron) et nous avons été hébergés par Yves à quelques km. Celui-ci a magnifiquement organisé la soirée débat. Après une sympathique collation avec les petits chèvres délicieux de Manu et toutes sortes de victuailles locales apportées par chacun-e, j’ai présenté les transparents sur l’effet rebond devant une sympathique audience d’une vingtaine de personnes. Nous avons des changements radicaux à faire et certains se sentent culpabilisés. Quand va-t-on réellement changer et agir? Les actions et mesures politiques sont indispensables pour soutenir les actions individuelles.
Toute la nuit police et pompier auront circulé dans St Laurent à la recherche d’un vieux évadé d’une maison de retraite, notre société de croissance crée-t-elle réellement des conditions sociales acceptables pour nos vieux reclus ?
On a mis des chaussettes en chambre à air pour protéger ses pattes. Il a fallu les nettoyer de l’huile qui les souillait, chausser Jujube, ce qui ne fut pas sans efforts et elle s’est retrouvée avec des magnifiques bottes. Nous avons suivi la route de la vallée du lot toute la journée, usant les caoutchoucs sur le bitume. A St Geniez, Jujube a été l’attraction de nombreuses habitantes ayant subi de grandes catastrophes avec les inondations du lot. Elles ont nourri, et étanché la soif de notre ânesse. Après un panache-pêche Olivier, qui flanchait un peu, se sent mieux. Mais Jujube pouvait difficilement avancer plus avec ses chaussons usés. Pascal, couvreur en Lauze avec sa femme, est venu nous chercher pour nous emmener dans leur maison à Prades d’Aubrac rénovée magnifiquement. En ces lieux le goudron nouvellement répandu a englué un oisillon qui piaillait tel un sinistré de l’Amoco-cadiz ou du Prestige. Le bitume rabote les sabots, glue les oisillons, imperméabilise nos surface avec le bitûme, quand aura-t-on fini la liste des méfaits asphaltés ? Après avoir nettoyé le goudron de ce pauvre oiseau, nous avons partagé un magnifique repas arrosé au vin local non trafiqué, et tellement agréable car rappelant ces vins maison offert par les Portugais que la haute considération des vins étiquetés a largement mis de coté dans nos contrées. Un choc a réveillé la maisonnée au milieu de la nuit. Un chat a mangé l’oisillon.
Le matin nous avons dû quitter nos hôtes, c’était dur de partir, le lieu est tellement agréable. Les matériaux utilisés y sont-ils pour quelque chose : le chanvre pour l’isolation, les toits en Lauze, la table en osier couverte de mousse, le bois et les formes auto-construite ? Leur maison respire quelque chose de vraiment spécial. Nous avons marché jusqu’au Lot en essayant de rester, non sans mal, sur l’herbe. Pas de bordure n’est prévue pour soulager les sabots d’ânes ou pour rester hors d’atteinte des automobiles sur ces petites routes où les gens roulent vite où les âmes qui vivent ne sont pas prévues.
Nous avons rencontré une sympathique équipe de France 3 qui a fait un reportage honnête du périple de Jujube et des notions de décroissance qui a été diffusé sur le réseau national.
Je suis inquiet pour Jujube et ses sabots qui s’usent, qui s’usent.
Alors que la pluie s’annonçait, Christian, une sorte d’ange de chemin, est soudainement apparu avec une cape de pluie, tel un magicien venant de nulle part avec son chapeau. Jujube a mal à la patte arrière gauche et il est impossible de la soigner ou de mettre ses chaussettes en chambre à air, même à trois.
Nous arrivons bien tard dans le gîte d’étape au centre de St Côme, qui accueille les pèlerins en direction de St Jacques. La mère et la fille responsables ont vraiment fait tout leur possible, malgré l’heure tardive pour trouver un Maréchal Ferrand, mesurer les pattes de Jujube, la mettre dans un pré, merci tellement. Finalement c’est par Jean-Louis Pradel un ami de Jacques Clouteau (vétéran des grandes traversées asinesques voir www.bourricot.com) que nous arrangeons un rendez-vous avec Monsieur Lacombe, maréchal ferrand.
Je tente désespérément de trouver un moyen d’aller jusqu’à Noailhac, où se trouve ce maréchal ferrand. Pascal qui nous a déjà rendu bien service accepte sans hésitation et vient nous chercher. Encore une fois nous mettrons Jujube dans le camion. Et encore une fois l’expérience est intense, elle ne veut pas. On remonte toute la vallée du Lot en Camionnette, passant bien trop rapidement à Estaing, grand Vabre et nous rencontrons Monsieur Lacombe. Olivier a du mal à croire qu’il est réellement maréchal ferrand, il fait trop vrai avec tous ces vieux outils, sa casquette, et son tablier de cuir. Il fait un travail impressionnant de savoir-faire mais difficile à regarder. Je m’inquiète pour Jujube qui est nerveuse. Je la console et j’en arrive à ne pas pouvoir manger ni faire quoi que ce soit. Le travail dure longtemps, je trésaille à chaque clou planté. C’est très précis, chaque clou passe tout près de la zone sensible et très bas dans la corne. Mais quand c’est fini, tout va bien pour Jujube et je suis soulagé. Nous buvons un petit vin local pour fêter ça !
Nous reprenons une autre fois le camion avec Jujube… qui ne veut pas entrer. Nous quittons Pascal et Christian à Lunel et nous marchons jusqu’à la ferme de Causseran où nous rencontrons Paul. Jujube semble très fière de ses nouveaux sabots. Est-ce le nouveau statut social des fers à sabots qui la rapproche des canassons ? Nous sommes invités au pot d’anniversaire de sa femme qui a soixante ans avec toutes les infirmières de la région qui lui font la surprise. Je réalise par leur discussion l’importance que peut avoir cette profession dans les campagnes où de nombreuses personnes âgées se trouvent isolées. La voiture était censées éliminer l’isolement. Ceux qui en sont dépourvus le sont maintenant encore plus, car tous les services sont éloignés. Restent les infirmières et les facteurs.
Un moment de pause enfin et de discussions intéressantes chez Paul Barrier et sa femme qui nous offrent l’hospitalité pendant ces deux jours. Nous sommes très reconnaissants des mets excellents auxquels nous sommes conviés. Et nous apprenons beaucoup de choses sur l’agriculture biologique et le lobby des éleveurs de porcs qui semble avoir une grande force politique sur ce plateau.
Sinon la cohabitation itinérante avec mon frère se termine pour cette fois. Olivier a été tellement marqué qu’il a démarqué ses Nike. Ce qui n’empêche pas celles-ci de dégager une odeur nauséabonde au propre comme au figuré.
Le soir je présenterai l’effet rebond devant 60 personnes environ. Paul en attendait 15. L’audience est très chaleureuse, et j’ai vraiment ressenti une connexion avec tous les gens présents. Nous avons un débat intéressant. « On a eu une phase de matérialisme indispensable, et la phase suivante sera décroissante ». « La législation est une raison importante des blocages ». On m’a suggéré d’entrer en politique. Une personne avait le sentiment que brûler du bois n’avait pas d’incidence sur les émissions de CO2 car il serait libéré de toute façon lors de la putréfaction. C’est oublier que des quantités très importante de carbone sont stockées dans les sols, dans l’humus et que l’humus met longtemps à se former. On voudrait des solutions toutes faites, pour éviter de consommer du pétrole on consommera du bois. En fait même la consommation de bois a un impact (même si elle est moindre que pour les énergies fossiles).
Je pars de nouveau seul vers Conques en passant par St Felix de Lunel puis Lunel. Je discute longuement avec un paysan qui vit avec ses vingt moutons, et qui ne comprend pas toutes les subventions à l’agriculture. Il coupe les ronces à la serpette. « Le travail est mieux fait qu’avec le cantonnier et sa machine qui coûte une fortune à la collectivité ». Il me raconte le bon temps où il allait lui aussi à Conques à pieds pour des fêtes. Ils partaient en groupe de jeune dans l’après midi et ne revenaient que dans la journée du lendemain après avoir dansé et chanté toute la nuit. Vraiment différent de l’esprit qui nous fait aller à des fêtes pour deux heures en voiture.
Un vieux qui travaillait dans un garage maintenant désaffecté, se donne au jeu de poser en faisant mine de donner du mélange 4 temps à Jujube. Un paysan qui le connaît et qui passe en tracteur est vraiment étonné par la scène. Une femme se plaint du chemin qui a été coupé contre son gré avec le soutien du maire. Je passe chez Jean-Pierre qui fait de magnifiques sculptures où les formes et des restes de la branche sont conservés. Enfin une magnifique toilette à compost faite avec un tronc d’arbre creusé. Nous buvons un pot et discutons de décroissance. J’arrive le soir chez Ger et Muria qui ont une chouette chambre d’hôte à Montignac. Ils produisent une bonne partie de leurs légumes et Ger produit céréales et pain au levain. Nous avons été obligé d’enfermer Jujube dans une étable de peur qu’elle ne mange les pêches du jardin. La pauvre a beaucoup brait cette nuit là. Le repas avec les touristes de la chambre d’hôtes permet un sympathique débat tout en se remplissant des mets exquis cuisinés en ce lieu. Muria est inquiète que la décroissance signifie qu’elle doive réduire ses activités durement acquises après des années de pauvreté. Je tente de lui expliquer que ce qu’ils font est en pleine décroissance à un niveau plus global et est exemplaire. Ils vivent avec peu, produisent le maximum localement.
Je repars à 5 heures du matin et passe à Conques. Je veux visiter la ville, mais jujube retourne son bât dans une montée, l’ânesse s’est affolée et nous faisons un ramdam qui réveille les habitants. Je décide de partir au plus vite. Nous montons sur le plateau avec des difficultés à cause des fers qui glissent plus et passons à Noailhac. Des hells angels m’indiquent la route. Ils étaient impressionnés par ma monture. Je suis passé par le vrai chemin de compostelle. Mais le vieux sentier sacré a été bitumé sans vergogne, ce qui use les fers de Jujube.
Je rencontre Hervé Brindel qui fait un reportage filmé puis Raymond et Stéphane Ricci anciens mineurs, qui font partie de la ligue contre le cancer. Stéphane Ricci a eu un cancer de la gorge et des poumons. Il a parcouru des centaines de km à pieds avec le soutien de nombreuses personnes pour lutter contre sa maladie. C’était il y a vingt cinq ans. Maintenant il gambade toujours et continue de visiter de nombreux malades à pieds dans la région pour les réconforter. Nous avons fait un bout de route ensemble. Il garde un magnifique sourire. Jujube reste dans un magnifique jardin de la rue des ingénieurs, la seule partie de la ville où les maisons sont un peu plus cossues, quelle bourgeoise !
Decazeville est une ville faite d’anciens mineurs à la retraite, elle garde son caractère ouvrier. Jusqu’en 1961 une des plus grande mine à ciel ouvert d’Europe, appelée « la découverte », était en activité. Bien que les veines contiennent encore beaucoup de charbon, il a été jugé plus rentable à l’époque d’importer du charbon que de continuer l’exploitation. Voilà pourquoi il ne suffit pas de réduire l’extraction dans son pays mais aussi dans le monde. Importer plutôt que d’extraire localement ne sert en rien l’écologie globale, pire on y rajoute des transports et on détruit l’économie locale.
Comme dans de nombreuses discussions, les gens se sentent impuissants. Or de même qu’il faut croire en la guérison d’une maladie, il faut croire en la guérison de la terre, pour qu’elle se produise.
Je présenterai l’effet rebond devant 35 personnes dans la salle des fêtes en appuyant beaucoup sur la similitude entre la croissance dans les parties riches du monde et les tumeurs. Encore une fois j’ai ressenti beaucoup de soutien.
Le soir j’ai dormi à l’hôtel, tout confort !, grâce aux gens de la ligue contre le cancer.