Marx a reconnu l'existence de biens naturels et les biens non-économiques, mais il a passé l'essentiel de son temps à analyser la dynamique du capital sans y faire aucune référence. Les économistes ultérieurs en général n'ont eu de cesse que de se concentrer sur la seule augmentation de la production et de la répartition des “ produits ”. Le marxisme a passé son temps a accréditer la thèse d'une libération de l'être humain par rapport à “ la nature ” (entité mythique jamais définie) au moyen du seul travail productif - comme si l'outil de travail était l'alpha et l'oméga de la relation sociale et que l'être humain produisait l'histoire naturelle à la seule force de sa volonté de travail industriel. La confusion entre “ économie ” et “ rapports sociaux ” conduit à négliger de multiples formes de domination.
Prenons un exemple : le nucléaire. En quoi les rapports “ de production ” ont-ils quelque chose à voir avec le risque nucléaire ? Le risque nucléaire est-il “ capitaliste ” ? Non, évidemment. On aimerait bien voir “ le prolétariat ” et en particulier la CGT être opposée au nucléaire. Malheureusement c'est l'inverse : la CGT soutient le nucléaire. Et les marxistes aussi, en règle générale. Nous disons : pourquoi ? On nous répondra : pour dominer la nature, parce que c'est le progrès, parce que c'est moderne, parce que c'est la civilisation. Qu'on nous justifie ces affirmations et nous parions que l'on sera bien en mal. Prenons un autre exemple : la démocratie. Découle-t-elle de l'équilibre des rapports de production ? L'autogestion aboutit-elle à l'autodétermination, premier des droits de l'Homme ? On ne voit pas comment ce qui se passe sur le seul lieu de travail industriel résumerait tout le reste.
Les exemples pourraient ainsi être multipliés ad nauseam. Comme nous pensons que tout rapport de domination ne peut pas in fine se ramener à un rapport de production, et que “ produire ” n'est pas automatiquement “ libérer ” mais peut aussi être “ détruire ”, nous appellerons “ productivisme ” les visions du monde qui réduisent la diversité des relations sociales et la diversité des dominations à une seule : la domination dans les rapports de production.
Quand Marx a écrit ses textes, il existait bien des macrosystèmes techniques mais ceux-ci ne détruisaient pas le milieu duquel ils dépendaient pour leur pérennité, au contraire : ils l'enrichissaient. Tel n'est plus le cas aujourd'hui. L'utilité des macrosystèmes techniques actuels ne tient qu'à la destruction accélérée des biens naturels. Les ressources qu'ils exigent chaque jour sont épuisables. Limitées, les capacités de l'environnement ne peuvent plus absorber les monceaux de déchets qui finissent donc par empoisonner les heureux bénéficiaires des macrosystèmes techniques.
Les macrosystèmes techniques sont un progrès : on ne saurait remettre en cause EDF et la Poste sans vouloir la peau des pauvres. Alors si tel est le cas, qu'on nous explique ce que ce “ progrès ” deviendra quand les ressources dont ils dépendent seront épuisées ou quand les rejets nous auront tous et toutes empoisonné(e)s. Qu'on nous explique ce que feront les pauvres rejetés dans les banlieues pavillonnaires dépendantes du “ tout-automobile ” quand le prix du pétrole flambera. Qu'on nous explique comme les gouvernements pourront éviter de se jeter dans la guerre pour éviter le chaos interne. Et que l'on nous explique quels progrès pourront bien sortir de ces guerres.
Les objections les plus connues sont les suivantes.
Première objection : les générations à venir trouveront bien une solution. Mais quel est donc ce progrès qui s'autorise un report de problèmes qui sont aujourd'hui sans solution sur les générations à venir ? D'autant que “ la solution ” à trouver n'est rien moins que la pérennité des supposés bienfaits elle-même...
Deuxième objection : après avoir épuisé une ressource, on pourra toujours en épuiser une autreé et ainsi de suite jusqu'à ce que mort s'ensuive ? Et même si c'était possible, comment ne pas remarquer que ces ressources viennent en grande majorité du Tiers-monde, qui en est donc privé ? Là aussi on attend une réponse de la part des marxistes, et comme rien ne vient, on finit par se dire que ceux qui ne disent rien doivent être d'accord avec les capitalistes pour profiter du banquet tant qu'il reste encore quelques miettes. Avec eux comme avec les capitalistes, la réponse est toujours la même : “ ayez la foi, demain on rase gratis ” (argument récurrent et unique du nucléaire).
Troisième objection : “ la science trouvera ”, nous devons acquérir davantage de puissance, plier la nature à nos règles, la dominer. Malheureusement il existe des arguments de principe montrant que ceci est voué à l'échec. Tous ceux qui ont fait un peu de météo connaissent ces arguments. Première limite : aux échelles dont nous parlons (climat, biotoxiques etc.) les phénomènes ne sont pas linéaires mais chaotiques (effet papillon, bioaccumulation par exemple). Autrement dit leur loi n'est pas connaissable et donc pas maîtrisable par aucune science qui soit. Seconde limite : les lois écologiques sont territorialisées. Ce qui est valable dans un écosystème n'est pas valable dans un autre écosystème. Un organisme n'est pas remplaÁable par un autre qui a un autre comportement. Ce qui est montré dans le laboratoire n'est plus valable sur place. Ce qui est valable maintenant n'est pas valable demain - exit l'écoénergétique, adieu l'universalisme. Les macrosystèmes techniques, eux, sont centralisés et réglés par des lois universelles de la science “ universelle ”é Troisième limite : l'entropie - argument bien connu.
On aimerait savoir comment la science prolétarienne pourrait arriver à s'affranchir de ces limites et comment elle les prend en compte dans son projet émancipateur. Regardons du cÙté de ce que préconisent Antoni Negri et Michael Hardt : ils préconisent la mobilité illimitée. Avec quels moteurs ? Du pétrole ? L'objection est sans doute trop bassement matérielle pour être prise en compteé Il reste que la mobilité et la déterritorialisation étant aussi des objectifs du capitalisme, on peut légitimement se poser quelques questions. La question vaudrait aussi pour une démocratie mondiale. Pour un tel projet, il faudra bien se déplaceré Dématérialiser le déplacement ? A part téléportation, il n'existe aucune solution sérieuse à cette question et il faut bien remarquer qu'elle n'inquiète pas beaucoup les marxistes.
La critique de la productivité découle logiquement de ces objections. Bien sûr, théoriquement on peut faire un usage raisonnable (“ économe ”) des ressources, gloser sur la différence entre productivité horaire et productivité par tête. Mais ce n'est pas une analyse politique, ni une analyse à la hauteur des enjeux. C'est une analyse de gestionnaire or notre problème est de mobiliser pour transformer la société.
Dans le monde gouverné par le prolétariat, sans doute tout le monde sera-t-il devenu raisonnable. On peut quand même douter d'une transformation aussi radicale. Il faudrait le prouver. En réalité plus on reste focalisé sur la question de la productivité plus on cherche à optimiser le rendement des écosystèmes et plus se rapproche des limites des écosystèmes, plus la réglementation va s'appesantir car les risques iront grandissants et l'erreur sera de plus en plus dangereuse. Gouvernement du prolétariat ou pas, aucune société ne reste démocratique quand elle est menacée de risques de type militaire. Et c'est le cas avec le nucléaire, les changements climatiques et bien d'autres questions. Il est illusoire de croire que ceci peut se gouverner. L'urgence est de ne pas s'en approcher. C'est donc la limite qu'il faudrait penser, et pas la croissance.
Ce n'est donc pas principalement l'existence économique des êtres humains qui est en jeu mais leur existence écologique - leur vie en tant qu'être vivants continuellement engagés dans un milieu naturalo-artificiel qu'ils transforment et qui les transforme. La modification de la nature par l'activité humaine est un fait de l'existence en tant que vivant qui n'a rien en soit de particulièrement émancipateur. Pour protéger leur vie, ils doivent limiter leur consommation du milieu. L'économie est limitée du dehors. Une limite ne peut se penser de l'intérieur : il faut préalablement la reconnaissance d'une altérité pour la penser. Tant que les marxistes pensent que la limite est idéologique ou qu'elle peut être surmontée par le progrès technoscientifique, il n'y a pas de nécessité de penser la limite. Les marxistes ne construisent rien de fondamentalement différent de leurs pseudo-adversaires, ils veulent seulement s'approprier les fruits du capitalisme. Respecter la limite au contraire signifie que l'emploi ou d'autres enjeux de répartition intra-sociaux sont traités comme tels et qu'en aucun cas personne ne s'avise de dire que le milieu doit être sacrifié pour des enjeux de court terme. Ceci signifie d'envisager une restructuration des activités humaines pour réduire drastiquement l'espace écologique occupé par la collectivité humaine dont l'espace est trop étendu ou incompatible avec les conditions de la vie (toxiques etc.).
En admettant que la question de la limite vienne sérieusement à se poser dans des milieux pour qui un haut niveau de production signifie civilisation, comment penser que les entreprises, même autogérées, viendraient à limiter leur activité voir même à la diminuer de leur plein gré pour respecter les limites écologiques alors que toute l'histoire ou presque témoigne du contraire ? Pourquoi penser que c'est dans la seule sphère des rapports de production que peut se penser cette question de la limite ? Que la sphère de production y contribue, c'est souhaitable, mais qu'elle résume entièrement la relation la question des rapports de production et en particulier de l'inégalité dans ces rapports est importante mais ineffective ici car elle ne reconnaît pas d'extérieur. Le rapport écologiste à l'écosystème n'est pas un rapport productif ni un rapport de travail mais un rapport d'harmonie. L'émancipation ne vient pas de la transformation de la nature mais de son respect. La question est celle de l'habitation et de la cohabitation, pas celle de la production de cet habitat. On ne saurait produire ce dont on ne peut pas être l'auteur.
Quand on reconnaît cela, et bien d'autres enjeux qui viennent border l'économie de l'extérieur, l'activité économique redevient alors ce qu'elle doit être : une activité subalterne enserrée dans des relations sociales irréductiblement plus riches et plus diverses. L'abondance en biens matériels, la richesse matérielle, est relativisée au sein d'autres facteurs qui ne sont pas des facteurs de production mais des biens communs. Un facteur de production, Áa s'exploite et Áa se rentabilise, Áa se consomme, pas un bien commun. Et il n'y a pas de jeu de mots ici. Un bien commun est un but en soi recherché par la coopération sociale. Il existe quand la coopération est bonne et disparaît dans le cas contraire. Ce serait un abus de langage de dire que la paix est un produit. La paix est un état qui ne peut pas être maximisé. Idem de la santé ou de la démocratie. Ces états requièrent une coopération sociale qui n'est pas de type économique.
Quand on reconnaît cela, les macrosystèmes techniques sont remis en cause. Ils apparaissent comme des structures matérielles obligeant les citoyens à épuiser les ressources et détruire leur habitat pour assurer ce qui leur est présenté comme leurs besoins nécessaires. Du point de vue pratique ceci explique pourquoi les écologistes essaient de ne pas utiliser la voiture (bien qu'elle leur soit souvent imposée sans utilité par les macrosystèmes techniques), l'électricité (pour cause de nucléaire obligatoire) et bien d'autres “ biens ” matériels qui n'ont de “ bien ” que le nom. Ce mouvement gagnant en ampleur, comment ne pas penser que ceci n'a pas à voir avec un nouveau potentiel émancipateur, bien loin de la domination des forces productives dont l'objectif finit par se révéler dérisoire devant les irréversibilités créées par les macrosystèmes techniques ?é qu'est-ce que la perspective d'une “ domination prolétarienne des forces productives ” nous permettra de dominer exactement, puisque le levier d'action n'est pas dans les forces productives (qu'il faut au contraire limiter) mais dans le reste de la société qui se voit ainsi menacée de destruction et de totalitarisme par la domination de l'économique et de la science mécaniste ? Et ceci en supposant que cette domination du prolétariat arrive un jour car après 150 ans d'échecs on peut quand même se demander si miser sur cette classe n'est pas une erreur de stratégie.
Ce qui nous amène à la question du contre-pouvoir. Il y a là une question de définition : que signifie “ pouvoir ” ? Restons-en à une définition des plus classiques, celle de Max Weber : le pouvoir est la capacité d'imposer sa volonté à la volonté de quelqu'un dans une relation sociale. Remarquons alors plusieurs choses. Premièrement la “ prise ” de l'Etat, par la force ou par les urnes, ne changera pas grand-chose aux relations de domination si le reste de la société ne change pas et en particulier si la richesse matérielle reste l'objectif principal du “ développement ”. Equilibrer le pouvoir signifie donc équilibrer le pouvoir partout. On attend de voir comment cela se fera sans recours à la notion de “ contre-pouvoir ”, qu'il faut donc penser et que les écologistes utilisent par exemple en refusant de consommer et de prolonger les macrosystèmes techniques qui les aliènent. Deuxièmement la définition choisie oublie que la nature possède une puissance sans égale pour imposer sa force sur la volonté. L'un des enjeux majeurs d'une théorie de l'émancipation devrait donc être de tenir compte de l'échelle de l'action humaine (cf. plus haut) et de l'inertie des macrosystèmes techniques.
Les marxistes ne se posent pas la question : pour eux il est entendu que la Poste et EDF c'est bien et c'est même ce qu'il y a de mieux. Là aussi les risques de collusion capitaliste, vérifié par les faits, sont grands : quoi de mieux que des personnes prisonnières dans des macrosystèmes pour garantir des débouchés ? Cela ravit aussi les keynésiens, car plus le système est intégré plus il est “ régulable ”é tant que dure l'approvisionnement en ressources naturelles et tant que la pollution est supportée. Le triomphe des keynésiens est plutÙt un signe d'absence grandissante de démocratie : plus la société est régulable par des technocrates moins elle est démocratisable, puisque le fait qu'elle soit régulable signifie que le pouvoir de décision n'est pas entre les mains des citoyens. En voit la limite des approches gestionnaires. L'existence de lois économiques prouve que la démocratie est contenue dans d'étroites limites. Les systèmes macrotechniques “ optimisent ” des buts dont on ne discute jamais, et orientent les comportements pour les rendre prévisibles. Ces infrastructures ont une inertie telle que la prise de pouvoir le prolétariat n'y changera rien. La critique d'Illich garde toute sa valeur ; elle en sort même renforcée. Nous construisons notre prison et le chaos à venir, et cela au nom du progrès.
Au final, il nous semble toujours que pour les marxistes “ développement ” signifie “ développement des forces productives ” et le seul problème est de théoriser l'accès plus égalitaire aux merveilles produites par ces forces incarnant “ l'humanité ”, dont on voudrait bien qu'on nous explique ce qu'on entend par là. Ce “ développement ” est l'humanisation elle-même. Hegel est là, il veille au grain. Cette thèse est productiviste et justifie amplement la critique du “ développement ” faite par les antiproductivistes. Si “ développement ” signifie d'abord et avant tout “ développement des forces productives ”, comme c'est le cas depuis 150 ans pour les marxistes comme pour les capitalistes, alors nous ne souhaitons pas utiliser le concept de “ développement ” et nous dégainerons dès que nous entendrons parler de “ productivité ” indépendamment de toute référence au contexte écologique mondial et aux macrosystèmes techniques alors que c'est là un enjeu majeur.
L'informatique peut-elle nous sauver ? Si on voit que le matériel informatique est fait de matériaux toxiques, que la croissance des déchets informatiques est quatre fois plus rapide que la croissance des déchets ménagers et qu'il n'existe aucun moyen pour éliminer les déchets informatiques ultimes de la biosphère alors oui il existe des raisons écologistes de remettre en cause le “ progrès ” procuré par l'informatique. Et il existe un grand nombre d'autres raisons : que l'on examine une par une les raisons de ce progrès. Les problèmes des sociétés humaines sont-ils causés d'abord et principalement par un manque de vitesse de communication ? Non, bien entendu. Les critiques sont innombrables et unanimes, de Dominique Wolton à Lucien Sfez en passant par Daniel Bougnoux. L'urgence n'est certainement pas à informatiser la société. Donc célébrer ce “ progrès ” est de notre point de vue suspect de collaboration avec le capitalisme et surtout (bien pire) de collaboration avec le productivisme. Pendant que tout le monde passe du temps à apprendre comment manier ces bestioles et s'extasie devant leur “ puissance ” (virtuelle, en tout cas), personne ne se pose de questions sur la transformation sociale. L'écart se creuse avec le Tiers-monde : avec tout ce que consomme l'informatique et les déchets produits (exportés en Chine, rassurez-vous), encore un gadget qu'ils n'auront pas. On se lamentera sur la fracture numérique et on l'attribuera aux capitalistes alors qu'on aura grandement contribué à la créer (d'ailleurs moi aussi - je ne suis pas encore assez écologiste sans doute - ou peut-être suis-je trop prisonnier d'un macrosystème technique dont il est vrai mes collègues d'Attac ne remettent pas en cause la croissance).
Cette foi toute scientiste et ethnocentrique permet de nous autoproclamer “ développés ” et d'offrir nos macrosystèmes techniques en exemple - et avec eux toute notre mentalité technocratique, notre connaissance toute mécaniste de la nature (et donc notre mépris du vivant non-humain) et notre conception matérialiste du bonheur. On ne saurait raisonnablement s'opposer au progrès, bien entendu. Malheureusement il subsiste les interrogations énumérées plus haut, plus quelques autres sans doute que j'oublie au passage. Si le marxisme et le libéralisme ont un point commun critiquable, c'est d'avoir la même conception de l'histoire.
Notre raisonnement rejoint donc celui de Pierre Khalfa et de beaucoup d'autres dans l'argument selon lequel le prolétariat a perdu sa prédominance en tant que classe susceptible d'être vecteur d'émancipation. Les raisons sont multiples et découlent entre autres de la critique faite ici. Aucun indice ne permet de dire que le prolétariat, les salariés ou une quelconque autre classe déterminée par sa place dans les rapports de production serait porteuse d'autre chose que d'un déplacement des revenus générés du capital vers les salaires. Un revenu qui n'est pas une richesse et encore moins un progrès pérenne. Les salariés comme les capitalistes ont un intérêt commun objectif : accroître leurs revenus - et cela est d'autant plus nécessaire que les macrosystèmes techniques sont étendus car de tels systèmes ne s'entretiennent pas seuls, à la différence des biens naturels.
Les classes sociales ont-elles pour autant disparu ? Non, personne n'a dit cela et il faudrait être stupide pour croire que ce serait le cas. Simplement elles sont devenues moins commodément identifiables. A nouveau c'est probablement la question de la propriété qu'il faut interroger. Pour ma part, j'ai proposé le concept “ d'espace écologique ” pour renouveler cette question. Pour le mesurer, voir par exemple M. Wackernagel et W. Rees, Notre empreinte écologique, Editions Ecosociété, Montréal. Ce n'est pas principalement en tant que producteur que je suis concerné par l'extension et la qualité de mon espace écologique mais en tant qu'être vivant. L'espace écologique global étant fini, l'extension de l'espace écologique des uns se fait au détriment de celui des autres. L'espace écologique est en outre dépendant des conditions locales des écosystèmes. Cette extension est directement dépendante de la réponse que l'on donne à la question de la substituabilité des ressources et aux paris que l'on fait sur les capacités de la science à trouver de nouvelles ressources.
L'écologie est bel et bien “ ni de droite, ni de gauche ” pour la bonne raison que l'écologie n'est que la prise en compte de la réalité du comportement du monde quand on dépasse certaines échelles de puissance de l'action humaine dans ce monde. L'étude des relations internationales montre ceci dans toute sa clarté : les écologistes inégalitaires, malthusiens, si on veut reprendre l'argument prêté à Malthus, prennent de l'avance. Paul Ehrlich est en train de gagner. Les dominants ne sont pas stupides et s'intéressent aux sciences qui donnent du pouvoir. L'écologie est de celles-là. En conséquence de quoi on demande de plus en plus au Tiers-monde de se développer “ autrement ”. Comme “ se développer ” signifie bien souvent “ développer ses forces productives ”, alors on demande au Tiers-monde de se développer sans impact écologique. Autrement dit de ne pas se développer. Le Tiers-monde comprend très bien cela puisque le Nord le lui a demandé dès l'origine du “ développement ” (colonies) et le marxisme n'a pas changé grand-chose en la matière sinon l'accélération de l'extension du processus d'appropriation des biens naturels patrimoniaux par un tout petit nombre de générations avide de production et de consommation - qu'il y ait production de valeurs d'usages ou de valeur d'échange change si peu à l'affaire. Tant que le Nord ne change pas de “ développement ”, le Tiers-monde joue le rapport de force et continue de se développer comme nous en espérant que la peur du désastre écologique fera reculer le Nord. On ne peut pas le lui reprocher. Les organisations marxistes du Nord ne préconisent pas de remettre en cause le mode de vie du Nord mais simplement de mieux partager les richesses. Un peu court comme argument quand les ressources sont limitées. Bush aussi dit que le mode de vie des Etats-Unis n'est pas négociable.
Dans ces conditions, une alternative globale viable ne peut pas être basée sur le mot d'ordre de “ développement des forces productives ”. Il doit plutÙt penser la limite. Nous avons besoin d'une alternative qui soit basée sur autre chose que le productivisme, que nous définissons comme l'ensemble des théories de l'émancipation qui accordent une prééminence aux relations économiques dans une société donnée et en font le lien social par excellence, la qualité de ces relations suffisant à établir la qualité de la société dans son entier. Le marché et le marxisme sont en général productivistes, pas toujours.
Par ailleurs, reconnaissons que l'écologie “ de gauche ” n'existe pas encore sous une forme bien identifiée. Comme les marxistes sont aussi divisés que les écologistes, faire la morale en la matière est mal venu. On pourrait peut-être dire que tous ceux qui acceptent de remettre en cause leur propre mode de vie sont des écologistes de gauche - ce qui ne suffit pas à faire une théorie de l'émancipation. On aura donc raison de dire que le paradigme écologiste n'est pas encore mûr. Sans doute l'aliénation dans les macrosystèmes techniques n'est-elle pas encore apparue dans toute sa réalité. Il faudra quelques pannes et accidents majeurs pour parvenir à voir à quel point le lien écologique est un lien avec le monde, et pas seulement un lien social, et à quel point la qualité de ce lien est déterminant de la qualité des autres liens : il n'y a nulle société libre aux environs de Tchernobyl, et pour longtemps. Il n'y a nulle société libre non plus quand les climats sont déréglés.
Quand ce lien apparaîtra dans toute sa clarté et son évidence, alors de posera la question de savoir comment se libérer des macrosystèmes techniques. Espérons qu'il ne faudra pas trop de guerres (telles que la guerre d'Irak pour le pétrole) et que les accidents ne seront pas trop graves. Malheureusement si l'on prend le risque nucléaire et le risque climatique il y a tout lieu de penser que la prise de conscience sera encore lente et qu'il y aura encore un certain temps de vieilles théories pour divertir l'attention des êtres humains.
L'initiative “ 100% altermondialiste ” ne pouvait donc pas aboutir. Brûler les étapes serait décrédibiliser un mouvement encore fragile. Nous avons besoin d'asseoir notre action sur des analyses précises et détaillées, susceptibles de mobiliser. Nous avons besoin d'objectiver un réel commun. Pour l'instant nous évoluons dans des mondes qui se croisent qui réellement se rencontrer quoique que subissant des malheurs dont personne ne dénie la réalité. Quand il s'agit de les analyser et d'identifier leurs causes par contre il y a dissensus. Il ne peut pas y avoir de front uni solide sans un minimum de consensus. Les accusations de collusion avec le capitalisme et de productivisme sont fondées, de part et d'autres. Il y a des écologistes qui pensent que le capitalisme peut devenir écologique. Il y a des marxistes qui restent productivistes. Reconnaissons-le et travaillons à séparer le bon grain de l'ivraie par des analyses solides et des pratiques affirmées. Ce n'est qu'ainsi que nous reconnaîtrons nos alliés de nos adversaires.
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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