Décroissance ou barbarie ? C’est une évidence enfantine que nous martelons : la croissance et le développement économique sont impossibles. Le déni de la réalité nous mène à la barbarie. Mais nous n’avons pas qu’à convaincre, ce serait trop simple, nous avons surtout à faire face à un système. Et ce système n’a aucun, mais vraiment aucun intérêt à remettre en cause cette croissance qui nous envoie dans le mur. Comme tout système, le productivisme a son outil de propagande, la pub bien sûr, mais aussi et surtout les grands médias. Je voudrais ici mettre en garde les objecteurs de croissance. Soyons sans illusion, dans notre engagement, les grands médias ne sont pas nos alliés, mais nos premiers adversaires. Leur fonction de contre-pouvoir est un leurre. Ils font partie intégrante du système productiviste, et leurs journalistes en sont les agents. Rappelons quelques exemples récents de cette connivence à peine tacite. Une employée de la station de radio Europe 1, chaîne du marchand d’armes Arnaud Lagardère, publie un livre sur l’animateur de TF1 et businessman Nicolas Hulot. Son amie Anne Chaon, en charge de l’écologie à l’AFP, publie aussitôt une longue dépêche pour en signaler la sortie. Le titre de l’ouvrage de Bérangère Bonte, Sain Nicolas, est d’ailleurs déjà tout un programme... La secrétaire d’Etat à l’écologie de Nicolas Sarkozy, Chantal Jouanno, sort un livre d’entretien sur l’environnement. Denis Cheissoux, qui anime la seule émission sur l’écologie sur la chaîne nationale France inter, lui accorde aussitôt une heure d’antenne. Et encore, je ne développerai pas ici sur la promotion médiatique éhontée dont ont bénéficié Claude Allègre et son tissu d’erreurs scientifiques, ni du livre sur le climat burlesque de l’animateur de téléachat Laurent Cabrol.
N’attendez en revanche aucune information sur les multiples travaux des objecteurs de croissance, dont notre journal La Décroissance. Faites confiance aux journalistes pour ne pas en informer les citoyens et pour tenir leurs auteurs bien éloignés de l’accès à la parole publique.
Certes, des « écologistes » ont accès aux grands médias. Mais ces pseudos écolos ne sont en réalités que les agents des intérêts qui détiennent les médias. Citons par exemple l’ineffable Serge Orru du WWF, Nicolas Hulot ou Yann Arthus-Bertrand. Quels intérêts représentent ces personnalités ? Ceux de l’écologie ou ceux des multinationales qui financent leurs salaires indécents ? Avec les royalties qu’il touche sur les produits de la marque Ushuaïa et son salaire de TF1, Nicolas Hulot gagne en tout plus de 100 000 euros mensuels pour quatre mois de travail par an. Ça lui laisse du temps pour faire du « kitesurf » en Afrique, tout en se déclarant hostile au partage du temps de travail. Quelle obscénité dans ce contexte de voir ce grand enfant prêcher la sobriété joyeuse à tous ses compatriotes.
Les écologistes, les vrais, pas ceux du Grenelle de Sarkozy, je veux dire les objecteurs de croissance, sont pendant ce temps soigneusement tenus à l’écart de la parole publique. Quand ils sont présentés dans les médias, c’est la plupart du temps pour évoquer des marginaux, ceux de la « tribu des décroissants ». Des « cinglés », comme dirait Daniel Cohn-Bendit, qui prêchent une décroissance infinie, une décroissance de tout, pour tous et surtout pour les pauvres.
Le père de la décroissance, l’écrivain Bernard Charbonneau, avait une vu juste en prévoyant que « Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusions peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire dépourvue de moyens mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la Terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui, après l’abondance, géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie : ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement . »(1) Ces gens n’ont aucun scrupule et c’est à ça qu’on les reconnaît à travers les époques. Ils sont prêts à tout pour conserver leur poste. Prêt à tout, c’est à dire au pire. Certains vont jusqu’à utiliser la mémoire des gens qui sont morts dans les camps de concentration pour défendre leur intérêts. Nous en avons été un des nombreux témoins. L’actuel directeur du journal d’Edouard de Rothschild, Nicolas Demorand, n’avait pas hésité à qualifier notre revue Casseurs de pub d’antisémite alors qu’il était animateur sur Radio France. Ici à Lyon, une journaliste de La Décroissance s’est vue aussi qualifiée d’antisémite par un journaliste servile alors qu’elle se présentait aux élections municipales pour la décroissance.
Il ne s’agit pas ici de régler ses comptes, mais d’observer avec lucidité la situation. Les journalistes sont les agents des intérêts auxquels nous nous confrontons, qu’ils se nomment Lagardère, Dassault, Bouygues ou encore le trio Bergé-Niel-Pigasse qui vient de se payer Le Monde. Notre engagement doit en préalable admettre cela, même si trop de militants mesurent encore le succès de leur engagement à l’aune de son bruit médiatique. Le combat contre le modèle de croissance ne se fera pas avec, mais contre les grands médias et leurs salariés. Ne pas le prendre en compte, jouer au plus malin avec eux, c’est inévitablement faire leur jeu.
La crétinisation des masses par le flot interrompu de débilités, de pubs, d’animateurs rieurs, de jeux, de télé réalité obscène et d’informations bombardées jour et nuit par le système médiatique est un enjeu de société majeur pour les objecteurs de croissance. Car ce système médiatique aboutit à l’avilissement de la personne humaine. A ne pas vouloir le prendre en compte, nous sombrerons dans des logiques de soustraction élitistes, nous désintéressant ainsi du sort du peuple. Cette machine à abrutir doit être notre premier ennemi.
Soyons clairs : une société d’objecteurs de croissance ne sera pas davantage une société de téléspectateurs qu’une société d’automobilistes. La décroissance, c’est d’abord un déconditionnement, une désintoxication comme de dit Serge Latouche. Notre revue Casseurs de pub est d’ailleurs sous-titrée « la revue de l’environnement mental » car notre premier combat se mène bien sûr à ce niveau.
Nous sombrons à un tel point de déliquescence qu’aujourd’hui, ce ne sont plus les partis qui désignent les candidats, mais les médias qui les fabriquent et les imposent aux partis. La candidature potentielle de Nicolas Hulot en est la parfaite illustration. La sidération que produit la télévision est telle que le seul objecteur de croissance à l’Assemblée Nationale, Yves Cochet, a conclu en février que si l’animateur de TF1 se présentait, le candidat élu par son parti, je cite : « s'effacera naturellement devant lui »(2).
L’année dernière, comme régulièrement, François Fillon évoquait notre décroissance : « Au fond, (...) autour de la protection de l’environnement, on voit quand même grosso modo deux conceptions de la société, deux conceptions de l’avenir qui s’affrontent. Il y a ceux qui sont favorables à une forme de décroissance, de retour en arrière et peut-être même à une forme de collectivisme, d’organisation de la société pour faire face aux dangers qui la menacent, et puis y a ceux qui pensent que le développement durable, c’est-à-dire celui qui mise tout sur le progrès de la science, sur le progrès de la technologie, qui fait confiance à l’homme, qui fait confiance à l’individu, nous permettra de relever les défis qui sont devant nous. (…) » Pour une fois, nous voici d’accord au moins sur une chose avec le Premier ministre ; la décroissance crée un clivage. D’un côté les fanatiques de la technoscience, les dévots qui croient qu’une science érigée en religion nous permettra de nous affranchir des lois de la biophysique et de sauver le capitalisme. Et de l’autre côté de ce clivage : nous. Nous qui pensons que le problème est bien d’abord politique, donc moral, avant d’être technique. Nous qui pensons que sauver l’humain est plus important que sauver le capitalisme et le productivisme.
Car la décroissance, c’est débord réapprendre à dire non. Une attitude particulièrement salutaire face au béni-oui-ouisme régnant. Ce béni-oui-ouisme est la matrice de tous les fondamentalismes et totalitarismes, qu’ils soient politiques ou religieux. C’est pour cela que nous aimons tant le caractère négatif de la décroissance. On nous présente le mot transition comme plus positif que la décroissance, mais c’est bien le problème. Même si d’excellentes initiatives sont conduites derrière ce terme, méfions-nous de ce terme venu du monde anglo-américain qui a une fâcheuse tendance à dépolitiser le débat. Idem pour la sobriété heureuse chère à Pierre Rabhi. Ce n’est pas un hasard si le millionnaire Jean-Louis Borloo a adopté avec tant d’empressement cette sobriété heureuse en enjoignant tous ses compatriotes de la pratiquer. Rappelons-nous cette mise en garde de Martin Luther King : « Le grand obstacle à notre mouvement vient des “réalistes” qui vénèrent plus l'ordre que la justice et qui préfèrent une paix négative, caractérisée par l'absence de tension, à une paix positive, caractérisée par la mise au jour des conflits. Encore faut-il bien préciser que nous, qui produisons les actions directes, ne sommes pas ceux qui produisons les tensions. Nous nous contentons de les dévoiler. Nous les faisons apparaître au grand jour pour qu'on puisse les reconnaître et les traiter. » Ce pseudo réalisme tellement intemporel dénoncé par Martin Luther King, l’écrivain Georges Bernanos le décrivait comme « la bonne conscience des salauds »(3).
Nous savions que le développement durable était une pédagogie de la soumission, mais comme y a toujours pire, les adeptes du dédé nous ont sorti de leur chapeau deux nouveaux concepts. Le premier a été la « prospérité sans croissance ». C’est en gros la décroissance mais avec le capitalisme et le nucléaire, la décroissance façon Medef. Le deuxième est plus récent et promis à un grand avenir : l’« adaptation ». Malgré les précisions qui ne convaincront que les gogos, le symbole est clair : il s’agit de s’adapter sans fin à l’effondrement et au bout du compte à la barbarie. La ministre de l’environnement et secrétaire de l’UMP, Nathalie Kosciusko-Morizet, fait figure de grande prêtresse, d’ange de la mort oserais-je dire, de cette théorie de l’adaptation. Y compris dans la « gauche critique », NKM séduit les vieux messieurs par ses supposées compétences. Notre ministre allie l’écologie façon croissance verte et la promotion des nouvelles technologies numériques. Deux domaines dont elle serait spécialiste. Nathalie Kosciusko-Morizet a été nommée ministre de l'Écologie et du Développement durable lors du dernier remaniement, même si elle se rêvait ministre de la Défense. Hélas pour elle, le poste a été attribué à un autre grand écologiste de l’UMP : Alain Juppé. Il faut dire que chez ces gens-là, on passe souvent du vert kaki au vert par dépi. Bernard Charbonneau, que j’ai déjà évoqué, nous mettait en garde : « Nous aurons les temps mérovingiens gérés par l’électronique, la disette, la violence et les terreurs que permettent seuls de supporter le pouvoir et l’autorité sacrée qui sauveront la planète – où achèveront de la perdre. » Non madame le ministre, nous ne voulons pas nous « adapter » au désastre et à la barbarie auxquelles nous conduisent le productivisme et le capitalisme, auquel vous et vos semblables nous avez conduit. Nous les refusons. Contribuer avec vos « experts » à la grande manip de maquillage en vert de la société de croissance pour duper nos contemporains nous répugnerait. Nous ne sommes pas non plus prêts à sacrifier ce qu’il y a d’humain en nous pour sauver la planète. Notre non est aussi destiné à tous vos savants fous qui voient dans l’écologie une opportunité pour expérimenter leurs délires scientistes.
Nous le martelons : les ressources de la planète pourraient être un million de fois plus importantes que nous serions toujours et encore plus des objecteurs de croissance ; nous savons que votre monde sans limites est un monde inhumain. Notre choix ne peut être aujourd’hui que celui de la dissidence, de la résistance, à commencer par le système médiatique. Notre réponse du moins mais mieux sera toujours un choix politique avant que d’être un choix technologique. Certes, mais ne nous y trompons pas : la décroissance n’est pas seulement un supplément d’âme ou de vert pour nos camarades de la « gauche de la gauche », c’est un basculement anthropologique pour la société toute entière. La décroissance est la question centrale de cette décennie, ni plus, ni moins mais les idées que soulève la décroissance sont d’abord un engagement pour la dignité et pour la liberté. Vive la décroissance !
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Et maintenant, que faire en politique ? « Voilà une question qu’elle est bonne ! » Nous le disons souvent, nous, objecteurs de croissance : nous n’avons pas de système clef en mains assurant mille ans de bonheur et de prospérité. Paradoxalement, la première action de la décroissance, c’est de ne rien faire. « On arrête tout, on réfléchit, et c'est pas triste ». On a envie de reprendre ce slogan de L’An O1 de Gébé bien sûr. Notre programme pourrait s’arrêter là, que cela nous donnerait déjà raison d’exister. Nous ne pouvons pas continuer dans la croissance infinie ; un enfant de cinq ans le comprend. Alors arrêtons-nous, toute la société, réfléchissons, tous ensemble. Car notre décroissance est d’abord une volonté de reconquête de la démocratie. Nous ne ferons pas la décroissance sans nos concitoyens.
Les adeptes du développement durable et de l’écologie officielle en pincent toujours davantage pour les spécialistes en tous poils. L’écologie devient même entre leurs mains un outil pour préparer l’opinion à remettre ce qu’il reste de démocratie aux mains des comités d’experts. L’ex pape du développement durable et mentor de Nicolas Hulot, Dominique Bourg, le théorise lui-même dans son dernier livre intitulé Vers une démocratie écologique - Le citoyen, le savant et le politique (Ed. Le Seuil, 2010). James Lovelock, écolo pro nucléaire et père de « théorie Gaïa » estime que face à la crise écologique : « Il peut être nécessaire de mettre la démocratie de côté pour un moment ». Nous, objecteurs de croissance, de gouvernement mondial et d’une tyrannie éclairée, nous n’en voulons point. Le journaliste du Monde Hervé Kempf critique à juste titre la confiscation actuelle de la démocratie par l’oligarchie. Mais il nous propose aussitôt d’aller vers un système de consensus. Très peu pour nous ! Notre décroissance est d’abord une volonté de revivifier une démocratie qui repose sur la création de clivages, donc sur le dissensus. Le consensus mou, c’est la négation de la démocratie. Nous n’avons pas peur du débat et la décroissance façon gourou pour bobos n’est pas la nôtre. Contrairement au philosophe Patrick Viveret, nous ne pensons pas qu’il sera possible de mettre en œuvre un projet politique d’objecteurs de croissance main dans la main avec le très blairiste Gérard Collomb. Au contraire, nous devrons nous confronter aux intérêts que le maire de Lyon personnifie avec son héros Dominique Strauss-Kahn.
Dans leur très bon livre La décroissance, dix questions pour comprendre et débattre, (éd. La Découverte, 2010) Denis Bayon, Fabrice Flipo et François Schneider l’observent : « Le contenu concret d’une transition décroissance vers une société écologique, les propositions des auteurs vont balayer un large spectre : d’une position délégitimant entièrement les médiations politiques à un “républicanisme” bon teint assumant des politiques de rupture avec [toutes les] positions intermédiaires. » Nous ne l’avons jamais caché, l’objection de croissance, comme l’écologie politique, va de l’ultra gauche à la droite extrême en passant par l’extrême centre. La décroissance passe par des libertaires, des communistes, des républicains, des chrétiens et encore par des personnes qui ne se reconnaissent pas dans le clivage droite/gauche. Pour ne rien arranger, tous les niveaux de radicalité sont présents. Autant dire qu’il ne sera pas possible d’unir tous les objecteurs de croissance, et c’est tant mieux ; la décroissance des néopaïens de la Nouvelle Droite ou des adorateurs de Gaïa ne sera jamais la nôtre. Il ne suffit pas de s’entendre sur l’impossibilité de poursuivre dans la voie de la croissance pour être d’accord sur les projets de société à engager en remplacement. Nous débouchons même quelques fois sur une vision de l’humain radicalement opposée. Au journal La Décroissance, nous n’avons jamais caché que notre décroissance était républicaine, démocrate, humaniste ou encore partageuse. Nous n’avons aucune prétention à recouvrir l’ensemble du champ des objecteurs de croissance, ni d’être les dépositaires exclusifs de la décroissance. Bien au contraire. Nous sommes heureux de débattre avec des anarchistes et des libertaires, des chrétiens, des communistes ou avec nos amis des associations des personnes issues de l’immigration. Nous le faisons avec ces derniers depuis plus de dix ans dans la région lyonnaise. Pour nous la décroissance se fera dans et à travers le débat. Toutes les filiations politiques, culturelles, voire spirituelles sont non seulement bienvenues mais aussi à cultiver.
Nous n’avons pas un système clef en mains, nous l’avons dit, mais des milliers de propositions. Certaines font consensus mais nombre d’entre elles font débat au sein même du mouvement des objecteurs de croissance. Ce foisonnement et ces échanges expriment bien notre diversité. Serge Latouche propose par exemple la règle des « 8 R » : Réévaluer, Reconceptualiser, Restructurer, Redistribuer, Relocaliser, Réduire notre empreinte écologique, Restaurer l’activité paysanne, Recycler. Paul Ariès voit dans la gratuité le cœur de la réponse à apporter au productivisme. Yves Cochet a présenté des centaines de proposition allant dans le sens de la décroissance à l’Assemblée Nationale.
Quand ils ne s’écharpent pas, nos amis de tous les mouvements ou partis d’objecteurs de croissance ; le PPLD, l’ADOC, le POC, le MOC, le FLOC, la LOC ou le FROC, travaillent à des propositions politiques et en mettent d’autres applicables immédiatement en œuvre. Le MEDOC, lui, nous prépare des médicaments pour nous y retrouver au milieu de toutes ces tendances.
Du côté du journal La Décroissance, Bruno Clémentin nous propose d’appliquer une échelle de 100 points. Il la partage ensuite en trois tiers. Un premier tiers pour le déplacement en voiture individuelle. Un deuxième pour l’hyperdistribution et l’agro-chimio-alimentaire. Puis un troisième tiers pour le chauffage, ou plutôt le surchauffage. Notre administrateur invite à commencer par réduire les déplacements inutiles dans les pays riches, qu’il estime schématiquement à la moitié. Ensuite, il nous suggère de retrouver le chemin de la production alimentaire locale. Et enfin de baisser le chauffage dont les médecins nous disent qu’il est trop élevé. Environ trois ou quatre degrés sur l’ensemble. Selon lui, cela représenterait dans ce domaine un gain d’environ une moitié en énergie. Sa conclusion est implacable: « La moitié d’un tiers, ça fait 1/6e, 3 fois 1/6e, ça nous donne… 3/6e, la moitié du tout ! Pour commencer, c’est pas mal. » Rappelons qu’il y a encore peu de temps, à l’échelle de l’histoire, une cinquantaine d’années environ, la France était presque entièrement alimentée par des marchés de proximité. Il aura fallu moins d’un demi siècle pour réduire ce système intelligent et écologique à une part congrue au profit de la grande distribution. Une politique de décroissance commencerait par démonter ces temples de la consommation, Auchan, Leclerc ou Carrefour, qui ont fait tant de mal à notre pays sur tous les points de vue, social comme environnemental. Le pire, c’est que nous les exportons, comme nos armes, à travers le monde. L’objectif est de retrouver des marchés de proximité alimentés par une paysannerie locale. Une économie des marchés contre l’économie de marché. Démonter les franchises, c’est ce que faisait José Bové avant de devenir député Européen sur la liste de Daniel Cohn-Bendit.
Souvent, la décroissance n’est pas si compliquée que cela. Nul besoin de grandes innovations, du progrès qui innove la nouveauté ; il ne manque que la volonté politique de la mettre en œuvre progressivement, et surtout le courage de faire reculer ces multinationales et leur supplétifs médiatiques. Mais « moins » ne suffit pas. La décroissance, ce n’est pas seulement réduire la taille du gâteau, mais aussi en changer la recette. Moins mais mieux. C’est simple la décroissance en fait, mais c’est aussi bien sûr complexe face à l’énormité des enjeux auxquels nous sommes confrontés.
Devant la diversité des réponses à la société de croissance, la tentation est grande de vouloir tirer la couverture de la décroissance à soi pour imposer ses solutions. Laissons au contraire la décroissance ouverte pour que chacun puisse se l’approprier, à la condition, bien entendu, de ne pas la vider de son sens. Car il faut aussi avoir le courage de le dire à nos concitoyens : une société d’objecteurs de croissance ne sera ni une société de téléspectateurs, ni une société d’automobilistes. La civilisation de l’automobile, du téléphone portable ou des grandes surfaces n ‘est pas soutenable, à commencer pour des raisons d’écologie strictement scientifique. Pour nous en affranchir, il est au cœur de notre discours de rappeler que la première chose à combattre est la déresponsabilisation aveuglée par la technoscience ; notre problématique est culturelle et politique, donc morale. C’est à ce niveau que devront se situer les réponses : celui des croyances et des valeurs.
Yves Cochet le dit clairement : « La décroissance sera la question centrale de la décennie ». Dans ce cadre, le débat entre Nicolas Sarkozy et Dominique Strauss-Kahn nous intéresse relativement peu, il faut bien le dire. Nous ne sommes pas assez experts pour faire la distinction entre la croissance à aller chercher « avec les dents » et la croissance à la sauce FMI. Surtout, nous pensons que ces personnalités sont en déphasage total avec la réalité écologique, économique, sociale, et surtout humaine actuelle. Il est donc urgent, pour 2012, mais déjà en 2011, de porter la décroissance à sa juste place : au centre du débat public et de la politique.
1 - Bernard Charbonneau, Le Feu Vert, Éditions Parangon, 2009 (217 pages, 15 euros)
2 - LePost.fr, 1-2-2011.
3 - Pléiade, Tome 2, p. 977, préface à son essai livre La France contre les robots -1946
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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