Soucieux de « faire du buzz », le site de l’hebdomadaire Marianne s’est lui aussi penché sur la mouvance de la décroissance, mais avec des principes très différents de ceux du Monde diplomatique ; nous livrons ici le témoignage de Vincent Cheynet, directeur de publication du mensuel La Décroissance.
Je m’appelle Vincent Cheynet. Je suis le directeur de publication de La Décroissance, un mensuel diffusé en kiosque et sur abonnement en France et à l’étranger. À mon retour de vacances début août, mon premier appel téléphonique fut celui d’un journaliste du site de l’hebdomadaire Marianne. Après lui avoir expliqué quelques courtes minutes mon refus de lui répondre au vu de leurs pratiques et méthodes, je lui ai souhaité courtoisement une très bonne journée.
En effet, suite à une polémique après des propos discutables du député des Verts et partisan de la décroissance Yves Cochet, nous avons écrit dans notre numéro de mai 2009 : « Sur le site de l’hebdomadaire Marianne, on bat des records de sottise au milieu d’une concurrence pourtant féroce : “Alors comment expliquer la montée de ces discours apocalyptiques qui nous annoncent la fin du monde pour dans quelques années et de cette théorie mortifère de la « décroissance » ? (…) En réalité, les tenants de ces thèses ne craignent pas la fin du monde. Ils la souhaitent ! Leur projet vise tout simplement à la destruction de l’économie, de la civilisation quand ce n’est pas de l’humanité”, écrit le “blogueur associé” Malakine qui fait une pleine page du même tonneau. “Antidote”, autre “blogueur associé”, aussi courageusement anonyme, traite, lui, le député [Yves Cochet] de “vieux con”. Marianne n’est décidément pas sérieux en offrant une tribune aux lyncheurs et aux calomniateurs avant de faire à longueur de colonnes des leçons de morale républicaine. »
Sur le site de Marianne, les choses ne se sont pas arrangées pour les objecteurs de croissance depuis. Par exemple, le 30 juillet 2009, marianne2.fr publie un article particulièrement éclairé d’un certain Remi Metreau amalgamant néodruidisme et décroissance. Chapeau de l’article : « Néodruidisme, véganisme, décroissance… Des courants d’ères apocalyptiques que l’on peut apparenter de près ou de loin à la mouvance écologique. Incollables en ressources planétaires, les écolos le sont également en néologismes barbares. »
Obligation de répondre
Bref, le lendemain de mon retour de vacances, le 6 août, est publié sur marianne2.fr un article intitulé « La décroissance, un journal, pas un débat ! ». Prompt a s’attaquer aux puissants de ce monde, Marianne va alors s’employer à « descendre » La Décroissance, cette parole effrontée qui a osé renvoyer un grand reporter du journal fondé par Jean-François Kahn, et a, par-là, atteint à la liberté de la presse dans ce qu’elle peut avoir de plus sublime.
Notre travail est décrit en termes fleuris : « Sectarisme » «, injures », « frôle souvent la bondieuserie », « n’apprendra pas grand chose sur la notion de décroissance », « des airs de crise d'adolescence politique », « Repli sur soi », « refus des débats », « revue doctrinaire », etc. Finalement, nous serions les meilleurs alliés objectifs du productivisme que nous espérions combattre puisque « c’est chez eux que se mesurent le mieux à la fois la profondeur du regret d’avoir à le faire (renversé en autoflagellation et en commandements vertueux) et l’enfermement durable dans les catégories de l’argumentation “scientifique” ». Merci Marianne, je comprends enfin pourquoi La Décroissance n’est jamais cité à aucune revue de presse. Et merci à l’auteur de l’article, Régis Soubrouillard, de nous ouvrir les yeux.
Cependant, à la lecture de l’article, on comprend que ce journaliste ne semble ni un lecteur averti ni un lecteur régulier d’un mensuel sur lequel il pose un jugement définitif. Il écrit : « Raoul Vaneigem, situationniste, proche, un temps de Guy Debord, auteur du célèbre Traité de savoir vivre à l’usage des jeunes générations, sont des chroniqueurs réguliers. » Or, la signature de Raoul Vaneigem est apparue une seule fois dans La Décroissance ceci lors d’un entretien exceptionnel que nous a accordé le grand écrivain. Mais pour le journaliste de Marianne, aucun doute : « Le titre se plaît pour l’essentiel à dénoncer les écotartufes » (comme nos couvertures le prouvent...) même s’il n’a apparemment en sa possession qu’un seul numéro.
En fait, ce sont deux pourfendeurs de l’idée républicaine, Serge Latouche et René Riesel, des objecteurs de croissance qui misent sur la disparition des institutions contemporaines et de l’Etat, que Régis Soubrouillard est allé interroger pour discréditer La Décroissance. Cela est d’autant plus paradoxal que Marianne méprise en règle générale les milieux anarchisants et libertaires tandis que notre publication s’est régulièrement attirée les foudres de ces mouvances (avec qui nous travaillons régulièrement) pour avoir affiché sa volonté de défendre l’idéal républicain. On peut comprendre que les auteurs Serge Latouche et René Riesel et se soient courageusement, et avec délice, plié à l’exercice de cette collaboration avec Marianne...
Attaque de la vie privée
Plus de soixante-quinze « post » d’internautes, pardon, de « mariannautes », suivent le texte de Régis Soubrouillard. Un échange qui, loin de tout lynchage et calomnies, démontre tout l’apport aux débats et à la démocratie des commentaires d’articles sur internet : « Ce journal est un torchon rédigé par des aigris, des refoulés, des frustrés qui se baladent en TGV, utilisent Internet, les télécopieurs, les scanners, la technologie dit " moderne ", ont installé leurs bureaux dans un immeuble moderne qui n'a rien d'écolo, dans un quartier chicos de Lyon... » (sic) argumente un anonyme. Plus courageux, Alain Bertrand, enseignant, s’en prend élégamment à ma personne : « Vincent Cheynet est un autiste de l'écologie, un stalinien de la décroissance… ». « Monsieur Cheynet est issu d'une famille de la bonne bourgeoise ultra-catholique lyonnaise et cela transpire dans son discours réactionnaire. » analyse finement le mariannaute « Pierre » (qui aurait pu ajouter « nazi » pour davantage d’efficacité). De son côté, « arsène lapin », hors sujet, interroge : « dis donc, couille molle, le stade anal ça se passe pas au niveau des couilles ou du clito. T'es conformé façon monstre ? » Et Alain Bertrand de compléter « pour que mon message ne soit pas censuré par Marianne » : « “zob ! zob ! con ! couille ! pédé ! gouine !” »
Parcourant d’autres messages, la police et Renseignements-Généraux n’auront qu’à se pencher pour trouver des informations ; c’est la vie privée des collaborateurs du mensuel qui est déballée par ce qu’il est convenu de nommer des délateurs.
Finalement, le 9 août, au cours d’un nouvel article intitulé « Les Mariannautes face à la décroissance », le journaliste Sylvain Lapoix fait le point sur ces débats de hautes tenues : « les Mariannautes peuvent remercier les décroissants : qu'on adhère ou pas à leurs thèses, difficile, une fois revenu de ce reportage, de laisser sans réponse les questions qu'ils y ont posé. »
Aussi empressé à professer des leçons de morale républicaines et de savoir-vivre que dans la version papier, on comprend alors mieux que dans son article Marianne conclut en en appelant au philosophe Jean-Claude Michéa pour inviter La Décroissance à davantage de « common decency » (« valeurs morales de sens commun », terme de Georges Orwell repris Jean-Claude Michéa) : « [cette mouvance] n’apparaît pas toujours à l’abri des conflits d’ego et de pouvoir (dont le signe le plus caractéristique est généralement le goût prononcé de quelques uns de ses leaders pour les exclusions, la violence verbale et la mauvaise foi polémique) alors même que ces militants devraient théoriquement se comporter d’une manière particulièrement exemplaire dans la mesure où la philosophie de la décroissance exige par définition un changement radical de nos manières quotidiennes de vivre et un degré supérieur de droiture et de désintéressement ».
Puis, grand seigneur, dans un « post » suivant son noble article, Régis Soubrouillard finit par m’inviter à écrire gracieusement un article en réponse sur leur site. Je dois avouer que je ne voudrais pas entacher par ma présence un tel temple de la démocratie. D’ailleurs, ai-je vraiment les qualités pour participer à une œuvre d’une pareille tenue ? Plus sérieusement, mes considérations ennuyeuses dénuées d’insultes ne risquent-elles pas de nuire quand l’important est surtout de « buzzer » ?
Pour les lecteurs qui voudraient lire un article sérieux sur la mouvance de la décroissance, je les revoie au très bon texte du journaliste Eric Dupin dans le numéro d’août du Monde Diplomatique. Au fait, Eric Dupin a été auparavant directeur du site de Marianne. Il y a tenu deux mois.
Vincent Cheynet, le 10 août 2009
« Celui qui
croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste. » Kenneth Boulding (1910-1993), président de l'American Economic Association.
Bêtisier du développement durable
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